Résumé Arturo Corrales Figures musicales Un outil de compréhension et d’analyse pour la musique de dernières décennies du XXe siècle. thèse soutenue le 15 septembre 2017 Mention « très honorable » obtenue à l’unanimité Membres du jury de...
moreRésumé
Arturo Corrales
Figures musicales
Un outil de compréhension et d’analyse pour la musique de dernières décennies du XXe siècle.
thèse soutenue le 15 septembre 2017
Mention « très honorable » obtenue à l’unanimité
Membres du jury de thèse : Professeur Brenno Boccadoro (Université de Genève), président Professeur Ulrich Mosch (Université de Genève), directeur
Professeur Mark Delaere (Université de Louvain), expert extérieur Professeur Pierre Michel (Université de Strasbourg), expert extérieur
Quand on écoute des oeuvres de compositeurs récents comme Ligeti, Grisey ou Xenakis, on est souvent porté – et ébloui – par une sorte d’énergie musicale, de force, qui se déploie dans le temps avec clarté, malgré le caractère expérimental et novateur de la musique. On n’écoute ni do#, ni une série ou matrice, ni une formule algorithmique quelconque, mais plutôt une sorte de mouvement, des formes temporelles dépendantes du déploiement réel de la musique dans le temps, ainsi que de l’interaction intentionnelle d'un auditeur. Est-ce que cette énergie, ce mouvement, cette force, cette « chose » peut être décrite? Par quel moyen, par quel outil analytique? Serait-elles un peu trop basiques pour ne pas mériter d’être étudiées de manière sérieuse?
Cette « chose » se dévoile sous une apparence synthétique, simple, avec un caractère d’évidence désarmante. Cette « chose » qui semble, comme Saint Augustin le signale à propos du temps, en même temps être là devant nos yeux de manière évidente et en même temps échapper furtivement à son apprivoisement.
C’est cette « chose » – qu’on a nommée figure musicale – celle qui, dans le cadre de ce travail, a été soumise à une réflexion approfondie et à une rigueur scientifique.
Le travail de thèse totalise 343 pages et propose un CD en annexe. La forme globale du travail est construite comme un arc, et comprend une introduction, une première partie intitulée « Cadre théorique », articulée en cinq chapitres successifs, une seconde partie intitulée « Protocoles d’écoute » et divisée en deux grandes sections – l’une consacrée à Jonchaies1 de Iannis Xenakis, l’autre à Vortex Temporum2 de Gérard Grisey –, une troisième partie nommée « Réflexions » et une conclusion. On remarque que l’Etude n°1 pour piano3 de Ligeti commence et termine la thèse, comme pour revenir finalement à certaines des hypothèses sur l’écoute énoncées au départ.
Les recherches sur la notion de figure musicale ont été mises à l’épreuve par un travail parallèle de composition, de musicien et de pédagogue de l’auteur. Le point de départ est fondé sur des intuitions provenant précisément de ces activités et du manque de réponses satisfaisantes dans les explications, parfois pompeuses et compliquées, décrivant les techniques d’écriture. Au contraire, certaines musiques expérimentales dès 1950 invitent à une approche de l’œuvre par l’expérience de l’écoute tenant compte de forces virtuelles ou de l’énergie musicale, concepts flous mais pourtant très sensibles.
L’introduction du travail circonscrit la notion de figure, de façon très précise et en soulignant la difficulté de trouver des points communs entre les différentes conceptions des compositeurs et analystes, qui englobent d’autres éléments comme geste, objet sonore, forme, énergie musicale, morphologie, mouvement. La méthode d’analyse proposée pour les des œuvres choisies se base sur une écoute analytique, puis sur l’étude détaillé de la partition, qu’on a nommé protocoles d’écoute. Cette méthode induit un filtre subjectif de type « quantique-relativiste », où la perception même de la musique étudiée change à travers l’étude et la familiarité de celle-ci.
La partie I expose quelques approches théoriques en rapport avec les figures musicales, elle débute par une longue et riche réflexion sur la théorie de la gestalt. Parlant de l’approche écologique puis de l’écoute intentionnelle, l’auteur explique toutes ses précautions concernant l’approche elle-même et soulève quelques questions basées sur la vision gestaltiste. Il est ensuite question du mouvement en musique, et donc de la forme, de l’espace, puis de la métaphore et du schéma-image considérés comme une base même pour l’analyse. Sont définis ensuite les outils conceptuels : échelle, dimensions et bande de présent, ainsi que les problématiques soulevées par le concept de figure musicale, telles la saillance, l’illusion auditive et l’existence d’un point zéro pour l’écoute, et finalement les possibilités et limites de représentation de la figure et les archetypes.
La partie II, « Protocoles découte », aborde tout d’abord l’œuvre Jonchaies de Iannis Xenakis. Ces analyses ont été réalisés à travers l’écoute répétée, l’étude de la partition, des descriptions à chaque fois plus détaillées, et des réflexions sur ces descriptions. Les résultats de ces
approches dépendent d’une introspection face à la musique en tant qu’objet esthétique. Il a fallu accepter le filtre de l’examinateur comme inhérent à cette étude : quand on observe un objet, on le transforme et on se transforme. Ces protocoles d’écoute on constitué une étape charnière où le cadre théorique initial sert à observer la réalité sonore avec le mirage des figures musicales qui émergeront dans la troisième partie du travail. Les interrogations que ces oeuvres ont posé à la théorie ont été de première importance pour la suite de la réflexion. Ensuite est abordé le premier mouvement de Vortex Temporum de Gérard Grisey selon le même type d’approche.
La partie III, « Réflexions » est une synthèse en vue de la formulation de généralisations. Les remarques sur la conception de figure musicale reviennent sur l’échelle et la notion de perspective d’écoute, échelle temporelle et zoom. Il est question ensuite des topographies sonores, du cycle perceptuel de Neisser4 et de l’intérêt d’utiliser une carte sonore comme métaphore. La travail expose ensuite les propriétés de la figure musicale puis les types de figure musicale classés selon le zoom (figure-geste, figure de base, figure-script) et selon la morphologie (figure par augmentation, par diminution, arc, impact, cyclique, statique).
La Conclusion tente d’approcher un niveau d’abstraction supplémentaire dans le but de créer un outil apte à répondre à d’autres pièces. Il s’agit donc de partir de ce niveau abstrait de figures musicales, pour l’appliquer à un cas concret d’analyse, en l’occurrence l’Etude n°1, « Désordre », de György Ligeti. Des déclinaisons de la figure musicale comme figure-geste, figure mélodique, figure-période, figures-script, ou encore forme globale sont proposées pour ce cas concret, ce qui exemplifie un usage des figures pour illuminer de nouvelles façons d’approcher et de comprendre une oeuvre musicale.
L’Epilogue souligne le caractère dynamique, donc essentiellement temporel des figures musicales. La figure musicale serait la forme, le mouvement, l’énergie musicale manifestant le temps à plusieurs échelles, et elles seraient capables de dévoiler les facettes de la musique qui sont souvent évidentes mais passées sous silence dans d’autres types d’approche. Cet outil s’approche d’avantage de l’ « idée musicale », de cette énergie primaire qui est, en fin de comptes, celle qui produit force et poésie dans la musique.
On essaie de toucher à l’ineffable, qui est à la fois très complexe et très simple et qui nous échappe par les deux bouts. Ça serait contre les objectifs de cette recherche de finir avec l’affirmation d’une découverte déjà close. Bien au contraire, si l’on a pu offrir une lentille à travers laquelle la réalité musicale pourra être encore explorée, enrichie et redécouverte, le but est réussi.5
1 XENAKIS, Iannis, Jonchaies, pour 109 musiciens : 4(2pic), 4(2cor ang), 6(clpic, 2clB, clCB), 4(2cbn) - 6.4.4(2trbT, 2trbB), 1(tbCB), timb, 5perc, crd (18.16.14.12.10), Salabert, EAS 17313, 1977.
2 GRISEY, Gérad, Vortex Temporum I, II, III, pour piano et cinq instruments, Ricordi, 1995. 3 LIGETI, György, Études pour piano - premier livre, Schott, 1985.4 NEISSER, Ulric, Cognition and reality : Principles and implications of cognitive psychology, New York, WH Freeman, 1976.
5 CORRALES, Arturo. Figures musicales. Un outil de compréhension et d’analyse pour la musique de dernières décennies du XXe siècle. Travail de thèse soutenu le 15 septembre 2017, Université de Genève, direction Ulrich Mosch, Genève 2017, p. 328.