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LECOCQ "LES SOURCES ÉGYPTIENNES DU MYTHE DU PHÉNIX"

Abstract

L'oiseau benu (en égyptien bnw), au culte et à la représentation très anciennement attestés en Égypte, est un être divin de signification mythique, religieuse, astronomique et dynastique. C'est par la médiation de la littérature grecque, puis de la littérature hellénistique alexandrine que, sous le nom de phénix (gr. φοῖνιξ, lat. phoenix), il apparaît dans la littérature latine du Ier s. av. J.-C., à l'époque de la conquête romaine du royaume d'Égypte, et voit se développer progressivement un mythe appelé à la fortune que l'on sait. Il ne sera pas objet de culte dans la religion d'Isis qui s'implante alors à Rome, mais d'abord un thème poétique et un objet de curiosité naturaliste, historique ou ethnographique au Ier s. ap. J.-C., puis un symbole politique officiel du pouvoir impérial au début du IIe s., en même temps qu'un symbole religieux, chrétien, mais aussi judaïque. L'acclimatation de l'oiseau sacré d'Héliopolis à Rome et la constitution de sa légende romaine-avec l'introduction du thème du feu au Ier s. ap. J.-C.-se font sur la longue durée, et l'on peut voir le mythe s'élaborer dans le discours et l'iconographie de deux univers différents, mais en étroit contact, celui des païens et celui des chrétiens 2. Le souvenir des racines égyptiennes reste cependant très présent dans l'un et l'autre. Or, un maillon important de la transmission, sinon de la constitution de la légende chrétienne nous paraît se trouver dans une des rares occurrences textuelles du phénix antérieures au Ier s. av. J.-C., en Égypte, dans le milieu culturel si particulier de l'Alexandrie hellénistique : il s'agit des vers du Juif alexandrin Ézéchiel le Tragique (IIe s. av. J.-C. ?), comme l'avaient déjà senti J. Hubaux – M. Leroy 3 et R. Van den Broek 4. Il est l'auteur d'une Exode où Moïse, fuyant le pays de Pharaon, rencontre dans le désert, à la source d'Elim, un oiseau extraordinaire, anonyme, mais dans lequel la critique s'accorde à reconnaître le phénix ; Ézéchiel crée apparemment un précédent en intégrant le phénix à la matière biblique et pose ainsi les jalons d'une appropriation rabbinique et également chrétienne du mythe, à partir de Clément de Rome (fin du Ier s. ap. J.-C.) jusqu'à Lactance et Eusèbe de Césarée, qui cite sa description, sous le règne de Constantin. Pour mesurer l'importance du fragment d'Ézéchiel dans l'évolution de la tradition poétique, symbolique, mais aussi iconographique du phénix, en son temps et jusqu'à la fin de l'empire romain, nous ferons d'abord le bilan de l'héritage que le poète tragique a pu recueillir de l'Égypte ancienne, mais aussi de la littérature grecque et de la culture hébraïque, et nous étudierons son traitement particulier du thème de l'oiseau fabuleux ; puis nous rappellerons les étapes du développement du mythe romain du phénix, à la fois dans la littérature, l'iconographie et la numismatique, comme thème poétique et fantastique et comme symbole impérial de la transmission dynastique du pouvoir et du renouvellement heureux des temps. Nous signalerons l'importance que jouent encore les milieux culturels et religieux d'Alexandrie dans l'élaboration de la légende, avant de nous interroger sur les circonstances et l'influence de la réapparition des vers d'Ézéchiel consacrés au phénix chez Eusèbe, à l'époque des Cahiers de la MRSH, n° 41, janvier 2005 [2 e éd. – 2008 – revue et corrigée], p. 211-266