Essais n°1 / 2012 - Varia
Abstract
La philosophie comme contre-culture 7 La philosophie comme contre-culture 1. Michel Foucault, Leçons sur la volonté de savoir, Paris, Gallimard/Le Seuil, 2011, p. 3. La philosophie comme contre-culture Horizons 8 des signes distinctifs, ces fameux opérateurs, est-ce qu'on ne pourrait pas faire une histoire de ces opérateurs et voir ce qu'ils retiennent, ce qu'ils excluent aussi et ainsi comprendre comment se développe la loi d'une discipline par la production d'un dedans séparé d'un dehors. Chaque fois en effet que des opérateurs viennent dire, ceci est de la philosophie, ceci est de la littérature, ceci est du droit, il faut entendre l'opérateur et le discours qu'il authentifie avec lui comme faisant violence à l'égard d'un ensemble de signes qui sont reconnus comme ne cadrant pas avec la grille d'intelligibilité des opérateurs. De telle sorte qu'à chaque fois qu'il y a quelque chose qui s'affirme comme un certain savoir, il y a autre chose qui est rejeté, qui n'est pas retenu. Le jeu d'une discipline suppose du hors-jeu mais il serait faux de croire que ce hors-jeu est extérieur au jeu. En réalité, il est ce non-savoir qui est précisément expulsé par le jeu de la discipline pour se comprendre comme savoir. Ainsi Foucault, dans la même leçon, montre que, la philosophie dès lors qu'elle se définit avec Aristote comme un savoir par nature, exclut le savoir tragique comme un savoir qui, justement, n'est pas désiré par nature, comme un savoir qui inquiète le type de savoir qu'il est convenu de désirer par nature. Et la question devient alors la suivante, et je dirais que c'est cette question qui est finalement la mienne : comment penser le hors-jeu du savoir constitué, comment penser pour la philosophie quelque chose comme son dehors ? Il s'agit en somme de s'intéresser aux poubelles des disciplines, à ce qui n'est pas retenu comme de la connaissance mais qui ne fonctionne pas seulement comme un rebus qu'il faut situer à l'extérieur mais aussi comme un spectre qui fait retour dans la discipline elle-même. Il me semble que faire les poubelles de sa propre discipline peut être intéressant et définir une certaine attitude que je nomme en philosophie la contre-culture. Je ne dirais pas que mon travail s'est toujours défini ainsi mais je dirais qu'il a pris en revanche cette orientation. En ce sens, faire de la philosophie c'est faire une critique de ce qui est présupposé comme étant de la philosophie et c'est ce que j'essaie de faire depuis une orientation générale consistant à soutenir que la philosophie n'existe que par référence à un dehors qu'elle congédie et que j'essaie, pour ma part, avec d'autres, de faire rentrer dans l'analyse de la philosophie.
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- Ah non, ai, a dit Papa en rapprochant vos deux chaises. Allons mesdemoiselles, ai, les meilleures amies ne se chamaillent pas, eshie ? D'accord Papa, mais elle a parlé à Hadiya. Elle m'avait promis de jamais parler à Hadiya, Papa. Je lui ai pas parlé. C'est pas moi, c'est elle qui est venue me voir, elle m'a dit : tu fais comme les chrétiens, tu manges du porc à l'hôtel Federalawi, et elle est repartie en courant. Pardon. Je te demande pardon, d'accord ? Les larmes lui montaient aux yeux. Moi non plus, j'te cause plus ! t'a lancé Selam en hurlant. Et je te ferai même plus de câlins. Ah non, Selam, s'est interposé Papa. C'était pour rire. Bien sûr qu'elle va te parler, elle va s'asseoir près de toi. Il s'est tourné vers toi. Chérie, ne sois pas méchante avec Meilleure Amie. Des gens vous dévisageaient et des enfants qui fêtaient un anniversaire sous une tonnelle se sont mis à rire. Selam était secouée de sanglots. Papa a desserré sa cravate, a pris Selam dans ses bras et a essuyé ses larmes avec un mouchoir. La serveuse, une dame avec un anneau en argent dans la narine, est venue vous sermonner, en disant que deux soeurs aussi mignonnes ne devraient pas se disputer et faire honte à leur père devant tout le monde après la messe. Papa t'a dit, tu dois faire la paix avec Selam, ou bien on rentre à la maison immédiatement… tolo. Bon d'accord, Selam, as-tu dit, j'te demande pardon, je te parlerai, on est toujours meilleures amies…bisous, bisous. Elle a acquiescé. Oui, meilleures amies… bisous. Vous vous êtes embrassées. La serveuse vous a applaudies et félicitées en rapprochant vos deux chaises. Ma petite Selam, a dit papa comme pour s'excuser, avant toute chose, je tiens à te dire que tu es tout à fait libre de manger ce que tu souhaites, aw ? Je sais, mon papa m'a déjà dit que je peux manger du porc si je veux. C'est vrai ? a-t-il dit, visiblement soulagé. Oui. Où est Selam ? Ils vont bien, dehna nachew, a-t-elle nous. Tu t'es fâchée avec Emaye Selam ? Ai, non, elle est très gentille. Ton père, silencieux, tripotait la télécommande cassée et les piles. Sur le mur de ta chambre, tu as regardé la carte du monde que ton maître d'école, Etiye Mulu, t'avait appris à dessiner en classe. Tes yeux sont tombés sur les mots, « Afrique, notre continent », que Meilleure Amie avait tracés sur la carte de sa jolie écriture, et tu as refoulé tes larmes. Ta maman t'a prise dans ses bras. Papa, tu t'es fâché avec Abaye Selam ? Non, ce n'est pas nous, lui et moi, qui sommes fâchés. Ce n'est pas personnel, a dit ta maman, tu sais qu'ils sont musulmans ? Oui. Une religion différente, a-t-il expliqué, c'est seulement un problème de religion. De religion ? C'est compliqué, a dit ta maman. C'est une période difficile, a renchéri ton papa. Ils sont méchants ? Non, on ne peut pas dire ça. Bon, as-tu dit, même si tu ne comprenais rien. Est-ce qu'il y a école demain ? Non, pas demain, nega athihedjeem, a répondu ton papa. Bientôt, ma petite fille, bientôt, a promis ta maman. Ce soir-là, les lumières se sont allumées chez Selam. Tu t'es précipitée pour ouvrir tes rideaux et regarder. Les siens étaient déjà ouverts, mais il n'y avait personne. Tu t'es pincée pour te punir de ne pas avoir été là quand les rideaux s'étaient écartés. Tu as attendu en silence, en espérant voir quelqu'un, une ombre passer devant la porte. Rien. Le lendemain et le surlendemain, quand ta maman sortait, ton papa restait avec toi. Quand ton papa sortait, c'est ta maman qui restait avec toi. Il y avait à nouveau du monde dans les rues et les oiseaux étaient revenus sur les fils, mais les domestiques n'ont pas reparu. beauté, et que Selam admirait sa démarche, tu enlaidissais et te tordais comme les vieux caféiers de Jimma. Tu étais si malheureuse que tu sanglotais, alors Hadiya est venue te prendre dans ses bras. Elle t'a dit que ce n'était pas la faute de Selam, que ses parents ne voulaient plus qu'elle te voie parce que tu n'étais pas des leurs. Tes pleurs ont redoublé car c'était Hadiya qui te consolait, et pas Meilleure Amie. Dans l'après-midi, malgré tes rêves, tu as fait semblant de lire dans ta chambre afin de pouvoir surveiller l'appartement de Selam derrière tes rideaux. Tu étais sûre qu'elle ne sortirait pas sur le balcon. Mais tu surveillais quand même, parce que tu voulais savoir si Hadiya viendrait la voir. Mais soudain, Selam est sortie sur la pointe des pieds. À son balcon, devant les appartements ravagés elle avait l'air d'un fantôme. Son visage pâle dans le soleil de l'après-midi semblait profondément ridé, comme le dessus d'un pain hambasha. Elle était toute maigrichonne et, depuis quelques jours que tu ne l'avais pas vue, semblait avoir rapetissé. Son shama, voile de gaze blanc qui la couvrait des pieds à la tête, volait au vent. S'enfuirait-elle si tu apparaissais ? Si tu désobéissais à Papa et Maman et que tu lui parlais, désobéirait-elle à son père et à sa mère pour te répondre ? Irait-elle le dire à ses parents, qui risqueraient de le répéter aux tiens ? Te repousserait-elle, comme dans tes rêves ? Apeurée, tu t'es cachée, ton regard déversant sur elle sa chaleur comme le soleil sur un jour froid. Selam fixait ton appartement des yeux, mais tu n'as pas bougé. Elle s'est accrochée à la rambarde et a scruté les rues en contrebas, à droite, à gauche, et tu essayais de suivre son regard, pour voir si elle guettait Hadiya. Au dîner, Papa et Maman t'ont dit d'arrêter de faire la tête et de chipoter avec la nourriture. Ils discutaient avec animation, comme Selam et Hadiya dans tes rêves, et remplissaient sans cesse ton verre de Coca. Demain après-midi, a annoncé ta maman, nous allons à Addis Abeba voir la famille. Quand est-ce qu'on rentre ? On n'est même pas encore partis ! s'est exclamé Papa. Qu'est-ce que tu as en ce moment ? Tu as cassé la télécommande l'autre jour. Reprends-toi. Chéri, ça va aller, l'a repris ta maman, conciliante, puis elle s'est tournée vers toi, Nous serons revenus dans une semaine, la situation à Bahminya est trop tendue en ce moment. Kezeeh mewtat allebin - J'veux pas partir.
- C'est quoi, ce langage ? s'est-elle fâchée, en tapant sur la mesab, notre table en rotin, en forme de sablier. Et il est impoli d'interrompre les adultes quand ils parlent. Tu n'as rien répondu pour ne pas te faire gronder. Tu t'es dépêchée de manger, puisqu'ils t'attendaient. 'autre côté, en vitesse. Tu as vidé ton verre de Coca, bu de l'eau et leur a dit merci. Tu es retournée dans ta chambre, pendant qu'ils parlaient du gouvernement, qui avait étouffé ces événements compliqués aux informations, comme deux ans plus tôt, quand des intégristes musulmans s'étaient mis à massacrer des chrétiens dans les églises de Jimma. Le lendemain après-midi, tu es sortie sur le balcon. Selam aussi est apparue sur son balcon. Vous vous êtes regardées sans mot dire. Vous suiviez le regard l'une de l'autre, vers les champs de café, vers les collines, vers le soleil. Le ciel était couvert. Un bourdonnement sourd montait des rues et deux ânes se mirent à braire au loin. Les oiseaux étaient alignés sur les fils, certains tournés vers toi, d'autres vers elle, silencieux, comme s'ils attendaient le départ d'une course. Lentement, Selam a levé une main et t'a fait des signes, comme si sa main appartenait à quelqu'un d'autre. Tu lui as répondu en faisant toi aussi des signes très lents. Elle a ouvert la bouche, lentement, mimant les mots, et tu as répondu en mimant à ton tour : « Je ne t'entends pas ». Elle t'a fait coucou des deux mains, et tu as fait pareil. Elle t'a souri. Ses fossettes formaient deux petits creux sombres, parfaits, dans ses joues. Tu as ouvert la bouche en un sourire révélant toutes tes dents. « Bisous bisous », as-tu mimé. Son visage exprima l'incompréhension. 'intérieur. Tu es rentrée aussi, te cacher derrière les rideaux. Emaye Selam a surgi furieuse, le visage encadré par son foulard. Elle a regardé du côté de ton appartement, puis a scruté la rue avant de rentrer. Tu as souri parce que vous aviez découvert un nouveau langage. Tu es allée voir Papa et Maman et tu leur as demandé quand vous partiez pour Addis. On va bien s'amuser à Addis ! a promis Maman, continuant à préparer les bagages. Tu te feras de nouvelles amies là-bas.
- Oui, Maman. Papa, qui sirotait sa bière, marqua une pause. C'est bien, ma fille… Je vais racheter une télécommande.
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- Randall Collins, Violence : A Micro-sociological Theory, Princeton, Princeton University Press, 2008.
- Giacomo Rizzolatti et Laila Craighero, « The Mirror-Neuron System », Annual Review of Neuroscience, 2004, 27, 169-192. Giacomo Rizzolatti et Corrado Sinigaglia, Mirrors in the Brain : How Our Minds Share Actions and Emotions, Oxford, Oxford University Press, 2008.
- Voir entre autres, Donald G. Kyle, Spectacles of death in ancient Rome, Londres, Rout- ledge, 1998. Alison R. Futrell, Blood in the arena, the spectacle of roman power, Austin, Uni- versity of Texas Press, 1997. Paul Plass, The game of death in ancient Rome : arena sport and political suicide, Madison, University of Wisconsin Press, 1995. ESSAIS 142 la violence et la mort s'observe à d'autres époques, dont la nôtre 6 . G. Fagan pense donc qu'au-delà de la question de l'engouement suscité par les munera (combats de gladiateurs) ou les venationes (chasses d'animaux sauvages) dans l'Antiquité, c'est au fond, à travers l'histoire, la question du penchant de l'homme pour les spectacles sanglants qui est posée. Quelques chercheurs ont en outre défendu l'hypothèse selon laquelle les observations issues des analyses socio-psychologiques transcenderaient les frontières historiques 7 . En fait, la démarche de G. Fagan fut déjà suggérée, entre autres par K. Coleman 8 ou par K. Hopkins 9 , qui avaient estimé qu'une partie de la réponse à cette question était liée à des processus socio-psychologiques. On reconnaîtra à l'auteur le mérite d'avoir tenté relever le défi. Il se montre toutefois prudent dans sa conclusion, rappelant que l'historien se heurte d'une part à un éparpillement des sources dans le temps, et d'autre part aux préjugés moraux et idéologiques des auteurs de l'Antiquité. Il insiste aussi sur la variété des spectacles de l'amphithéâtre (munera, venationes, bestiarum damnatio), diversité qui devait susciter, autant qu'il soit possible de les saisir, des réactions psychologiques fort diverses auprès du public. Il reconnaît enfin que les processus neurophysiologiques et psychologiques sont encore mal connus et que d'autres facteurs concourent à expliquer cet engouement. On ne peut bien sûr qu'acquiescer sur ce point. Ces travaux sont certes récents, mais ils n'en demeurent pas moins contestés. Sans doute aurait-il été opportun de détailler davantage les débats sur la violence chez les sociologues et psycho-sociologues afin de mieux justifier le choix d'une théorie, plutôt que d'une autre. Les sources ne permettent, en outre, que difficilement d'évaluer le degré de fréquentation et encore moins d'adhésion du public à ces spectacles. Son livre ne s'intéresse par définition, comme il le reconnaît lui-même, qu'aux spectateurs qui se passionnaient pour ces combats, au risque de surévaluer cet engouement dans la société romaine. La dimension religieuse et symbolique est peu abordée, or ces combats étaient organisés à l'origine dans un contexte funéraire, de fait, le rapprochement
- Eckart Köhne et Cornelia Ewigleben, The power of spectacle in Ancient Rome, Gladiators and Caesars, Londres, British Museum Press, 12, 2000. Georges Ville, La gladiature en Occi- dent des origines à la mort de Domitien, Paris, BEFRA, De Boccard, 1981, 457.
- Kenneth J. Gergen, « Social Psychology as History », Journal of Personality and Social Psychology, 1973, 26. De même les articles de la revue Journal of Cross-Cultural Psychology, dont John Adamopoulos et Robert N. Bontempo, « Diachronic Universals in Interpersonal Structures : Evidence from Litterary Sources », Journal of Cross-Cultural Psychology, 1986, 17, 169-189.
- Kathleen Coleman, « The contagion of the throng : absorbing violence in the Roman world », European Review, 1997, 5, 401-417.
- Keith Hopkins, Death and Renewal, Cambridge, Cambridge University Press, 1983. opéré avec les sports de combat d'aujourd'hui n'est pas sans poser problème. Le caractère politique, comme les interactions entre l'empereur et le public, est également peu étudié. Enfin, G. Fagan aurait peut-être pu essayer de mieux retracer l'évolution de l'attrait des combats de gladiateurs au cours de leur histoire, et de s'interroger par exemple, sur l'impact de leur condamnation par les apologistes chrétiens auprès du public. Toutefois, son importante bibliographie (p. 325-357) ainsi qu'un corpus de textes et d'inscriptions traduits en anglais (p. 287-324), constituent un outil de travail précieux. La thèse défendue par G. Fagan, ne manquera pas de stimuler l'intérêt des divers chercheurs travaillant sur les spectacles et la violence dans l'Antiquité, et devrait susciter de multiples prises de position. Sylvain Forichon, Université Michel de Montaigne Bordeaux 3, UMR 5607 AUSONIUS, sylvain.forichon@etu.u-bordeaux3.fr