Introduction « Oyr, entendre et aprendre » : les raisons d'un petit livre nobiliaire « Si vous plait de fere silence / Et que j'aye un peu d'audience / Je vouldray ore racompter / […] Le bien, l'onnour qu'ay oy dire / De la maison noble...
moreIntroduction « Oyr, entendre et aprendre » : les raisons d'un petit livre nobiliaire « Si vous plait de fere silence / Et que j'aye un peu d'audience / Je vouldray ore racompter / […] Le bien, l'onnour qu'ay oy dire / De la maison noble et puissant / De la lignye de Challand » 1 . Les qualités nobiliaires du lignage occupent, dès les premiers vers, une place essentielle dans la Généalogie des seigneurs de Challant. Écrit au milieu du XV e siècle en Vallée d'Aoste, ce poème lignager s'accompagne d'une plus ample Chronique de la Maison de Challant en prose, bien qu'agrémentée de quelques ballades versifiées. Ces deux oeuvres célèbrent la mémoire et les fastes de l'une des plus importantes familles seigneuriales des Alpes occidentales médiévales. Les seigneurs de Challant descendent des anciens vicomtes d'Aoste ; au XV e siècle, ils représentent le lignage aristocratique le plus influent et ramifié du Val d'Aoste et l'un des plus puissants de toute la principauté savoyarde ; ses membres sont tout à la fois seigneurs justiciers d'une part enviable de leur vallée et hommes de cour et d'office fort prisés par leurs princes ; leur prééminence aristocratique et politique les amène à être le premier lignage seigneurial jugé digne de recevoir, en 1424, le titre comtal des mains d'Amédée VIII, lui-même élevé à la dignité ducale par l'empereur Sigismond en 1416 2 . Tel est le contexte très général dans lequel se situent la Généalogie et la Chronique. Toutes deux sont, très probablement, dues à un seul et même auteur qui se met directement en scène dans la Chronique : « je, Pierre du Boys, marchant, en Aouste demourant, ay escript ce petit livre en gros langaige […] ; j'ay seulement en brief, sans glosse, escript ce que j'ay veu, oy, entendu et de verité sceu » ; tout cela au cours d'une longue carrière passée aussi, voire surtout, au service des Challant, en tant que « familier secretare » du feu comte Jacques. Les 1 P. Du Bois, Généalogie des seigneurs de Challant, dans Id., Chronique de la Maison de Challant, éd. O. Zanolli, dans Archivium Augustanum, 4, 1970, p. 118-131, cit. p. 118-9 (= dorénavant Généal.). Dans toutes les citations de l'oeuvre j'ai scrupuleusement respecté les choix de l'éditeur, Orphée Zanolli. Ces deux ouvrages ont des titres convenus, dûs à la critique moderne et contemporaine. 2 Sur l'histoire sociopolitique du lignage voir à présent les articles que Alessandro Barbero lui a consacrés : en premier, A. Barbero, Principe e nobiltà negli stati sabaudi : gli Challant dans Valle d'Aosta tra XIV e XVI secolo (1988), dans Id., Valle d'Aosta medievale, Napoli, 2000, p. 179-210 (avec bibliographie régionale) ; cf. aussi Id., Origine e prerogative dei visconti di Aosta (1988), dans Ibid., p. 41-59 ; Id., Ramificazioni dei lignaggi e formazione dei territori signorili in Valle d'Aosta all'inizio del XIII secolo, dans Ibid., p. 127-178 ; Id., La memoria dell'ufficio pubblico nelle famiglie nobili tardomedievali, dans Formazione e strutture dei ceti dominanti nel Medioevo : marchesi, conti e visconti nel regno italico (secc. IX-XII), atti del secondo convegno, Pisa dicembre 1993, Roma, 1996 (Nuovi studi storici, 39), p. 39-56. Sur l'essor de la principauté de Savoie, G. Castelnuovo, Ufficiali e gentiluomini. La società politica sabauda nel tardo medioevo, Milano, 1994. Sur les noblesses savoyardes, G. Castelnuovo, Les noblesses et leurs pouvoirs dans les Pays de Savoie au Moyen Âge, dans M. Messiez (éd.), Noblesses en Savoie, L'Histoire en Savoie, 132-133, 1998Savoie, 132-133, -1999, avec bibliographie régionale. circonstances propices à la mise par écrit de la Chronique sont justement données en 1460 par le décès, tout récent, d'un maître qui laisse un héritier bien jeune, son fils Louis, pour le bénéfice duquel l'ancien secrétaire entend « ung peu » racconter les « faictz, entreprises, gouvernements, traictiés et affaires vertueux des nobles de Challand » 3 . Or, l'auteur de la Chronique ne naît point noble, bien que, très probablement, il soit anobli avant sa mort. En fait, les informations, certes fragmentaires, que nous possédons sur Pierre Du Bois nous le présentent tel un trait d'union presque exemplaire entre la ville, la seigneurie et la cour. Il s'agit tout d'abord d'un notable urbain, d'un marchand de succès qui, au sommet de son art, obtient l'un des postes de syndic de sa cité, Aoste ; dans le même temps, sa seconde maison n'est autre que le château d'Aymavilles où siègent les seigneurs de Challant ; Pierre côtoie leur cour toute sa vie durant, comme expert en une double culture administrative et chevaleresque qu'il avait acquise nous ne savons trop ni où ni comment ; enfin, et toujours au service de son seigneur, Du Bois fréquente aussi la cour princière par excellence, celle des ducs de Savoie, qui prend définitivement son essor culturel et institutionnel en ce milieu de XV e siècle 4 . Un marchand-officier, écrivain d'occasion et de cour ; une famille aristocratique de souche dont il faut entretenir mémoire et hauts faits ; un pays, la Vallée d'Aoste savoyarde, situé « entre montaignez et reputé a d'aulcuns sovaige » 5 : voilà les principaux cadres d'une