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In the Self's Place: The Approach of Saint Augustine presents Jean-Luc Marion's rethinking of the modern notion of the self by way of an original reading of Saint Augustine through the lens of a phenomenology of givenness. Here he tests the hermeneutic validity of concepts forged in his previous works. His goal is to show that the Confessiones are inscribed within the confessio, that love is an underlying epistemic condition of truth, and that God's call and our response to God are both gifts. Ultimately, Marion points us toward a conception of the self that is at once postmodern and very Augustinian.

De la même manière que la nature produit la beauté en son sein, le formes artistiques consciemment élaborées se trouvent depuis le 19e siècle elles aussi justiciables d’une règle. Mais cette fois-ci c'est la nature elle-même qui fournit la règle aux produits de l'art. Le "génie" chez Kant est précisément cette puissance impersonnelle qui sépare l’oeuvre de la simple application d’une technè. Le génie est ce qui délie donc aussi l'art du savoir et de la volonté de l’artiste; la maîtrise du créateur n'est que l'ombre d'une privation plus profonde, car ce que l'artiste fait (sciemment, consciemment), il ne le fait pas vraiment. Cela explique pourquoi le génie ne peut pas communiquer ses idées : il est régi par une force supérieure dont il n’est qu’un moyen ou un instrument. La présente étude se propose d'analyser la réactivation contemporaine de cette idée dans l'oeuvre de Jacques Rancière, qui affirme la puissance d'un art qui fait ce qu’il ne veut pas, et qui met en forme ce qu’il ne pense pas. Il y a une capacité, à l’intérieur même de l’autonomie de l’art, à accueillir de l’hétérogène. Cette indéterminabilité propre à ce que Rancière appelle le "régime esthétique d'identification de l'art" se révèle être pure liberté ludique du créateur et signifie l’identité fondamentale du volontaire et de l’involontaire, du conscient et de l’inconscient. Il s'agit alors de saisir comment, tout en recevant la règle, le génie conserve paradoxalement sa spontanéité et sa liberté créatrice: "L’auteur, en somme, est né avec son ombre, avec son évanouissement dans la parole anonyme. (…) C’est cela même qu’exprima le mot contradictoire de génie : l’équivalence d’une propriété et d’une impropriété." (J. Rancière, Malaise dans l'esthétique, p. 134)

Fundamental doubts on the nature of representation constitute the essential theme of Castellucci’s work. The paper analyzes how, through very specific scenic devices, he confronts spectators not only to the power of theater but also its tremendous darkness. Exposed to violent sensible impressions and pure vibrations (sounds, odors, ruptures of rhythm), the spectator is forced to see beyond the image and to think the unthinkable. It is argued that what constitutes the genuine elements of such a theater is what Deleuze, and before him Artaud and Proust called “signs”. Signs testify for the power of nature and spirit working beneath words, gestures, characters or represented actions. Far from being simply linked to a signifying expression, a content or to an affection of the subject, they are above all a manifestation of forces, of a differential of intensity. With that regard, on the one hand signs are always sensible, already part of a process of actualization, but on the other hand they already point towards the virtual system of relations, the ideal coordinates of a problem. It is the reason why signs are always to be interpreted, and put our thought in motion. There is a great danger in this interpretation however, since signs are deadly when they are lost in the distance (they do not touch us, they do not reveal the nature of the problematic), but also when they strike us with full force (they abruptly reveal the unbearable abyss, and lead the one confronted to them to madness or death). The art of Castellucci (originating from Greek tragedy) is precisely to torn spectators apart between these two kinds of signs. The questioning we would like to undertake is hence very simple: what is the origin of these signs, where one finds the maximum drama in the least possible information? why do they manage to make such a deep impression on us? or, as Castellucci himself puts it about his experience of listening Schubert: “where do my tears come from, void of content and so far removed from the sentimentality I loathe?”. Paradoxically, isn’t it because signs withhold force that they express their potency, beyond any theater of representation, any explicit content, and any meaning? Therefore, we believe Castellucci prominently displays the new image of thought Deleuze is promoting in all of his works: the will not to have the choice anymore, the spirit forced by sensation, the need for thought to go as far as the tremendous darkness, but also the need to interpret signs, to elevate ourselves from this darkness to light. While projecting images from Castellucci’s productions (Parsifal, Orphée et Eurydice, Schwanengesang D744, Go down Moses, On the concept of the face of the son of God, Ödipus der Tyrann, Human use of human beings) we question to what extent spectator cannot genuinely see without being seen in return, why that which is worth being represented is always the irrepresentable, and, ultimately, address the main problem Deleuze was obsessed with: the sensible origin of thought.

It is well known since Eisenstein that montage is defined as being the soul of cinema, the whole of the film, or, like Deleuze put it, the Idea. The aim of the paper is to question the specific editing techniques of Jean-Luc Godard, who became the emblem of some crucial aspects of cinematic modernity: after the break of the sensory-motor scheme, his punctuation of pure visual and sound images had nothing to do with their assemblage anymore. When Godard says that one image connected to another creates a third one, so that an image can never exist alone, it is not merely a matter of adding images to one another but of classifying types of images and of circulating in these types. Henceforth, the renewed question Godard asks is not “how to assemble differentiated parts, relative dimensions, or convergent actions?”, but rather “what does an image show?”. And indeed, the basic principle at the root of Deleuze’s film aesthetics stems from this godardian problem: if images have become clichés, internally as well as externally, how can an image, “just an image”, be extracted from all these clichés? With what politics and what consequences? Yet, on the basis of his last films (Histoire(s) du cinema, Notre musique, Film socialisme, Adieu au langage), we would like to question Godard’s hesitation between, (1) the revelatory power of montage arising out of a constant hesitation, so that any image can criticize any other image within the film and, (2) the ability of montage to astonish and stupefy the viewer, giving him an order, and hence putting a final point to the circulation of images (as shown by his famous insert: “No comment”). But there is a price for this hesitation. While analyzing the evolution of Godard’s style and its ethical implications, we also ask, using deleuzian conceptual tools, whether the circulation within the type of images in his latest films didn’t end up creating clichés even stronger than before.

L'article étudie la proposition de Gilles Deleuze, suivant laquelle un fragment peut avoir la double fonction paradoxale de renforcer et d’arrêter l’œuvre conçue comme totalité organique close. Il s’agit alors pour nous d’analyser les effets indécis d’une telle stratégie d’écriture: comment produire, et penser, des fragments qui aient entre eux des rapports de différence en tant que telle, qui aient pour rapports entre eux leur propre différence, sans référence à une totalité originelle même perdue, ni à une totalité résultante même à venir? Car en effet, un danger guette sans cesse le style qui s’est contenté de casser ou de briser : le rabattement de la polyvocité à un signifiant maître qui s’arroge chacun des morceaux. Même les auteurs qui insistent sur la charge parcellaire de l’écriture ne renversent pas vraiment le modèle de l’unité. Avec ce qu’il appelle «la multiplicité», Deleuze dispose d’un concept fort permettant précisément de sortir de l’aporie qui risque toujours de ramener la fixité relative dans toute variabilité. Ce faisant, le caractère problématique de l’écriture éclatée trouve une résolution élégante, sans que l’œuvre soit réduite à la simple juxtaposition désorganisée de morceaux, ni que le fragment soit compris sous les espèces de la totalité.

Prenant au sérieux le caractère référentiel et automatique du mode d’objectivation du réel par la caméra, André Bazin a fixé l’idée que le cinéma est un art absolument réaliste qui nous débarrasse de l’expression de l’artiste, des effets de style et de l’ennui d’une histoire à raconter. Mais une telle conception n’allait pas sans ambiguïtés et partis pris embarrassants. D’une part, puisque l’esthétique se déduisait des propriétés techniques, ce n’est qu’en restant fidèle à la spécificité de son medium que le film est capable de laisser venir le monde « tel qu’en lui-même », c’est-à-dire « objectivement ». D’autre part, à considérer l’ensemble de la production, il était nécessaire de créer une opposition artificielle entre les cinéastes formalistes qui manipulent et reconstruisent le réel par un enchaînement d’actions indigne, et les cinéastes de la présence brute chez qui l’inscription sensible du corps filmé révèle une puissance propre indépendante du montage. Comment rendre compte de cette apparente aversion de Bazin à toute marque de style un peu appuyée, voire à ce qui semble constituer les gestes fondamentaux d’un cinéaste : narrer, relier, couper, coller, éditer, se rapprocher ? Contre l’explication répandue qui ne tient naïvement compte que des présupposés modernistes sur l’enregistrement et de l’épiphanie des « faits bruts » que le film est censé procurer, il est soutenu que Bazin n’a pas conçu le réalisme comme la possibilité du cinéma de transmettre la consistance spatio-temporelle du monde. Son problème ne porte que marginalement sur l’ontologie de l’image analogique et concerne davantage l’attitude du cinéaste face à un medium qui a des affinités spécifiques vis-à-vis du réel. Car si l’œil mécanique est capable de tout capturer, cette incorporation du monde par la caméra atteste aussi une forme de violence proprement cinématographique. Quel est le critère possible pour une pertinence politique d’une image cinématographique ? Y a-t-il un standard non-subjectif qui fonde la différence entre les films abjects et les films acceptables ? En dernière instance, puisque la caméra prélève des fragments hors du réel, l’image filmique n’est-elle pas nécessairement réification obscène, extorsion cruelle et arbitraire ? Après une étude préalable des aspects technique, idéologique et artistique de l’esthétique réaliste, il apparaîtra que la théorie de Bazin est plus correctement exprimée en tant qu’une demande pour un positionnement moral du cinéaste qui juge ce qu’il filme et qui devrait être jugé d’après la façon dont il juge. Redoublé avec les arts « mécaniques » qui ont affaire – techniquement – au réel, il y a le sentiment qu’il ne faut pas prendre à la légère la responsabilité d’un homme envers les images qu’il crée. En traitant le problème en termes politiques, plutôt que techniques ou formels, il deviendra possible de révéler en quoi Bazin a établi l’idée qui fait autorité dans l’esthétique filmique, selon laquelle « juste une image » doit aussi être une image de « justice et justesse ». L’exigence du réalisme n’est alors rien d’autre chez lui que l’exigence pour l’artiste de l’ère moderne de ne pas nuire avec ses images, c’est-à-dire de faire l’épreuve du négatif dans laquelle la caméra cogne contre un réel qui résiste, insiste. Ainsi, la tâche du cinéaste est d’être un guetteur, un veilleur sur un monde qu’on doit supposer non-totalisable et irréductible à sa captation.

Adaptation fidèle de l’opéra inachevé Moses und Aron (1930-1932) de Schönberg, le film de Jean-Marie Straub et de Danièle Huillet (1974) est une œuvre dont le thème central est l’opposition de celui qui révèle l’idée monothéiste (en parlant) et de celui qui est apte à la communiquer au peuple (en chantant). L’objet de la présente étude est d’analyser le choix par les cinéastes de cette partition et de ce livret difficiles à travers les problèmes théoriques spécifiques qui se posent dans l’adaptation. L’hypothèse de nos recherches est que cet opéra est particulièrement apte à dégager les traits esthétiques du travail des Straub, dont la fonction première est d’accueillir du visuel qui se serait autonomisé par rapport au sonore. Dans son refus du doublage des chanteurs mais aussi dans son décrochage audio-visuel à même la prise de son directe, ce film inédit est dès lors paradigmatique de toute une tendance moderne du cinéma qui a tenté d’atteindre un visuel et un sonore purifiés, disjoints, libérés l’un de l’autre. Plus particulièrement, le film nous convie à distinguer trois usages possibles par le cinéma d’une partition: interactif, réflexif ou, comme ici, fabulatif, où la musique et les voix cessent de « faire voir » et acquièrent une puissance nouvelle.

Fundamental doubts on the nature of representation constitute the essential theme of the work of Romeo Castellucci, the co-founder of the Socìetas Raffaello Sanzio. The paper analyses how, through very specific scenic devices, Castellucci confronts spectators not only with the power of theater but also with its tremendous darkness. Exposed to violent attacks on the senses, the spectator is forced to see beyond the image and to think the unthinkable. The paper argues that what constitutes the key elements of such a theatre is what Deleuze, and before him Artaud and Proust, called “signs.” Signs testify to the power of nature and spirit, working at a deeper level than words, gestures, characters, or represented actions.

As the starting point for the theory of the unconscious, Deleuze and Guattari posit that the body without organs maintains an ambiguous relation of attraction/repulsion with the working pieces, the partial objects. The condition of the machinic unconscious is the death that desires, the body without organs as the immobile motor forcing us to dismantle organs, but the functioning of this very same unconscious is the life that desires, the reappropriation of miraculous organs on the body without organs itself. The great health of the cycle of desiring machines is this passage, this conversion where the movement goes in both directions: sometimes the rise from the catatonic state where intensity is at its level zero to the experimentation of intense becomings and feelings, sometimes the fall from every intensity towards death which is enveloped by it and which gives birth to it. The paper elucidates the complex theory of the double death, of death as model and death as experimentation that Deleuze and Guattari borrow from Blanchot. How does the genuine death untie and release the subject by leading it to its origin, towards the body without organs? Which is this death that has nothing to do with me and on which I have no power whatsoever? In what respect is this annihilation very different from the passive nihilism where one wants to disappear and to drown into the abyss of indifferentiation? More specifically, we take very seriously the affirmation that desiring machines do not die, and pay attention to the bond which can be formed with Spinoza’s idea of the feeling of eternity. In what Deleuze calls the ethical test (l’épreuve éthique), I can constitute an adequate idea of myself by distinguishing my eternal essence and my existence in duration. It must hence be said that death is indeed necessary, but it is a necessity of accidents that come from without. In some tremendous pages containing great power of consolation, Spinoza invites us to cease thinking of death as inner, since it only decomposes the “I” produced by extensive parts that define my existence in duration; it does not concern either our singular eternal essence or our relations in themselves. If a free man thinks of nothing less than of death, he nevertheless has constantly to convert the death that rises from within into the death that comes from the outside in such a way that Anti-Oedipus participates in the old tradition according to which to philosophize is to learn how to die. The more we form adequate ideas, the more we experience active joys, the greater is the part that persists and remains active, and the least the part that dies and is touched by bad affects.

Le propos de cette recherche se place dans la perspective d’une archéologie historique en même temps que d’une théorie constructiviste et critique. La thèse a pour objectif de mettre en débat le recours au sujet et d’en pointer certaines limites. Il s’agit non seulement de contribuer théoriquement à une plus grande compréhension du débat, mais aussi d’analyser des conséquences pratiques du recours au sujet.  Tout d’abord, qu’est-ce qu’au juste "le sujet" ? C'est la question inaugurale de cette recherche, qu'on a volontairement voulu rendre la plus scolaire possible. Ensuite, nous nous demandons avec Deleuze et Guattari si cette notion est légitime : n'y a-t-il pas, en dernière instance, un usage politique pervers de cette notion, comme le montrent bien les signes d’appartenance tels les régionalismes, les nationalismes, les communautarismes... mais aussi tous les appels à la prétendue dignité du sujet (à laquelle devraient accéder par exemple les pauvres et les immigrés)? Pour aider à y voir plus clair, on a voulu comprendre la manière dont la philosophie du sujet est réappropriée et ce que cette philosophie produit de concret. L’enjeu est bien de mener une critique du subjectivisme humaniste dans la pensée occidentale, qui modèle cette pensée sur ce que Deleuze appelle « les normes de la représentation ». Mais interroger ce présupposé humaniste ne signifie nullement ici le remettre en cause. Cela signifie également questionner le pourquoi de sa domination.

Résumé : Après avoir dans un premier temps rappelé les enjeux de la refonte phénoménologique du concept d’expérience en lien avec la théorie de l’intentionnalité, la question est posée de savoir si place est encore possible dans ce contexte pour quelque chose comme une expérience passive. Après avoir analysé les types de réponses apportées par Husserl, nous soutenons que chez Heidegger le tournant herméneutique de la phénoménologie peut être interprété comme une réfutation de la pertinence même du phénomène de la passivité, au profit du primat de la possibilité comme marque distinctive de l’existence humaine. Enfin, dans la section conclusive de cet article, nous esquissons à l’aide de Levinas la possibilité d’une troisième voie qui pense l’expérience passive comme attestation phénoménale des limites de l’intentionnalité tout autant que de l’identification fondamentale entre l’être et le sens, identité qui est peut-être le point d’accord profond de Husserl et Heidegger.

Abstract: Having first recalled what is at stake in the phenomenological reworking of the concept of experience in connection with the theory of intentionality, the question is raised as to whether there is still room in this context for something like a passive experience. Having analysed the types of replies given by Husserl, we maintain that in Heidegger the hermeneutical turn of phenomenology can be interpreted as a refutation of the very pertinence of the phenomenon of passivity, to the advantage of the primacy of possibility as a distinctive mark of human existence. Finally, in the concluding section of this article we sketch with the aid of Levinas the possibility of a third way that thinks passive experience as a phenomenal attestation of the limits of intentionality as well as of the fundamental identification between being and meaning, an identity that is perhaps the profound point of agreement between Husserl and Heidegger.

Dans un texte important de 1939 (Vom Wesen und Begriff der phusis. Aristoteles, Physik B, 1), Heidegger estime que la Physique d’Aristote est le seul ouvrage de l’histoire de la philosophie qui pose la question des conditions d’entrée dans la présence des choses à partir d’un mouvement ontologique qui – plus originaire que tout déplacement local – porte tout d’abord l’étant au paraître. Pour rendre compte de cette thèse d’ontologie phénoménologique, Heidegger prend le parti d’une approche qui maximise l’importance de la forme (morphé, eidos) sur la matière (hylé) dans le procès ontologique par lequel les choses se manifestent.
Ce choix revient comme nous le suggérons à accorder au sens (compris à partir de l’eidos grec) une place centrale en phénoménologie, puisque l’être est d’emblée signifiant en son mouvement de donation même. Cela peut permettre en retour d’éclairer sous un jour nouveau le projet d’herméneutique phénoménologique qui se déploie dans Sein und Zeit (1927), et de mieux comprendre la portée et la radicalité de la thèse qui s’y déploie selon laquelle la question de l’être (la Seinsfrage) est indissolublement la question du sens de l’être.
Dans une dernière partie de ce travail, nous suggérons qu’il faut remonter au tout début du parcours philosophique de Heidegger, jusqu’à sa thèse d’habilitation (1916) fortement marquée par le néokantisme de Lask, pour trouver les motifs d’une indépendance de la matière par rapport à la forme, même si là encore, comme nous le suggérons, Heidegger est déjà manifestement tenté par la voie herméneutique. Dans tous les cas, il semble qu’à travers la problématique de la forme et de la matière, c’est la question de l’originaire qui est posée, c’est-à-dire celle des sources ontologiques de la présence.

monde naturel et le mouvement de l'existence humaine, Patočka loue Aristote d'avoir centré son interrogation métaphysique sur l'être autour d'une référence constitutive au mouvement comme ce par quoi tout étant advient à la présence : « Le problème qui fut celui d'Aristote : le problème du mouvement conçu de manière ontologique, du mouvement qui n'est pas une simple relation toute faite, résultant d'une constitution, mais cela qui constitue l'être des étants qui sont en mouvement et en devenir, non seulement extérieurement et relativement, mais par tout ce qu'ils sont » 1 .

Résumé : Cet article, qui reprend un chapitre de ma thèse de doctorat, a pour ambition d’apporter une contribution à la phénoménologie d’inspiration cosmologique, dont Patočka fut l’un des plus dignes héritiers, à la suite de Fink. Le monde chez Patočka doit être compris phénoménologiquement comme horizon de la manifestation des étants en son sein. Cosmologiquement, cet horizon prend valeur de fond d’indétermination d’où procèdent les étants par délimitation, c’est-à-dire encore par individuation. Mais question doit encore être posée eu égard au statut philosophique d’une telle origine d’indétermination primordiale qu’est le fond cosmologique. Dans cet article nous montrons que Patočka n’échappe pas à une ambiguïté lorsqu’il s’agit pour lui de rendre compte du fond mondain. En effet, d’une part le fond cosmologique désigne le monde comme totalité en retrait, structure d’ajointement qui rend possible et commande le mouvement ontogénétique par lequel tout ce qui est advient au paraître par individuation. D’autre part pourtant, il arrive à Patočka d’envisager le fond tout au contraire comme une matière chaotique originaire, semblable aux instances abyssales et indéterminées évoquées dans les mythes. Sous ce second angle d’attaque, loin que le fond constitue un principe ontogénétique d’ordonnancement du monde, il est au contraire pris dans une relation antagoniste d’adversité avec le monde, au point que Patočka voit parfois en lui l’autre du monde avec lequel les étants sont en lutte ontologique perpétuelle. L’enjeu derrière cette ambiguïté est de taille, puisqu’il s’agit de sonder une alternative, à même la cosmologie phénoménologique, face à laquelle Patočka ne put trancher ; entre un monisme transcendantal qui appréhende le fond du monde comme la dimension constituante la plus originaire de tout sens d’être ; et un dualisme polémologique qui prend le parti beaucoup plus résolu de dresser les limites du sens face à une dimension d’être alogique sous les auspices de cette matière chaotique primordiale.

Avec la parution récente de la traduction française de la seconde thèse d'habilitationmonumentale -de Jan Patočka, Aristote, ses devanciers, ses successeurs (Paris, Vrin, 2011), il devient enfin possible de mesurer l'importance des concepts fondamentaux de la Physique aristotélicienne pour l'élaboration du projet philosophique original que Patočka développera à partir des années 60. Ceci est d'autant plus remarquable que le philosophe tchèque, empêché à cette époque pour des raisons politiques de consacrer ses travaux à la phénoménologie, a pu renouer, dans ces études sur Aristote, avec la source antique du projet phénoménologique, afin de donner à celui-ci un nouveau départ. C'est en effet principalement dans le cadre d'une réappropriation phénoménologique du concept de mouvement que Patočka ressaisit la pensée aristotélicienne comme une voie permettant de dépasser l'impasse subjectiviste qu'il croit encore à l'oeuvre -quoiqu'à des degrés divers -chez Husserl et Heidegger. Le mouvement en vient à revêtir une détermination ontologique fondamentale : irréductible à un quelconque sens intramondain et ontique (dont le mouvement local constitue la forme paradigmatique), le mouvement est conçu comme procès onto-génétique, c'est-à-dire comme advenue à l'apparaître.