Histoire de la Grèce sous la domination des Romains, 2025
Les quatre premiers chapitres de la première partie, Depuis Flamininus jusqu’à Auguste, de la mon... more Les quatre premiers chapitres de la première partie, Depuis Flamininus jusqu’à Auguste, de la monumentale “Histoire de la Grèce sous la domination des Romains” de Gustav Friedrich Hertzberg, est parue à Halle en 1866. Hertzberg est un historien « classique » du milieu du XIXe siècle allemand : ses sources sont essentiellement littéraires ; il a quasiment lu tous les auteurs grecs ou latins qui évoquent les lieux, les évènements, les personnages de la période historique concernée (de la bataille de Cynoscéphales en 197 à celle d’Actium en 31), et s’est servi des rares documents épigraphiques disponibles à son époque. Hertzberg n’est pas dépourvu d’a priori idéologique, et d’anachronisme méthodologique. Le “spectre du communisme hante” ses réflexions. Il écrit notamment : « le cri de ralliement des communistes d’alors : la destruction des livres de créances et un nouveau partage des terres ! » On croirait lire un pamphlet contre les thèses de Marx sur l’enclosure en Angleterre, ou les menées de révolutionnaires zapatistes ! Cet anachronisme nourrit la thèse historique centrale d’Hertzberg sur le déclin de la Grèce pendant cette période qui est le fait des Grecs eux-mêmes, plus que de la voracité impérialiste des Romains. Autrement dit, si les États allemands du XIXe siècle ne veulent pas subir le sort de ceux de la Grèce hellénistique, qu’ils sachent se tenir dignement contre le communisme insufflé par Marx depuis un pays concurrent et dominateur.
Pierre Boyancé (1900-1976) est une figure de l’académisme français au XXe siècle. Il fut bardé de... more Pierre Boyancé (1900-1976) est une figure de l’académisme français au XXe siècle. Il fut bardé de titres et de reconnaissances. Séduit, comme beaucoup de latinistes avant lui, par la beauté du poème de Lucrèce, il est conduit à en rechercher la portée philosophique à travers l’étude de l’épicurisme. L’article L’épicurisme dans la société et la littérature romaines, publié dans le Bulletin de l’Association Guillaume Budé en décembre 1960, marque le début de cette démarche. L’époque est aussi celle d’âpres luttes idéologiques entre les intellectuels marxisants, orthodoxes ou non, et les autres. Althusser et Sartre font partie des uns, Boyancé des autres. Les uns refusent le Prix Nobel ou sont de simples répétiteurs rue d’Ulm, les autres des notables universitaires. Boyancé déclare, parlant de l’analyse économico-sociale des marxistes d’avant-guerre portant sur Lucrèce : «En postulant le primat de l’économique et du social, elle va à l’encontre même de leur esprit qui est la primauté du spirituel et du moral.» On est en droit de se demander si la critique d’un marxisme, effectivement caricatural, n’est pas elle-même une vision un tantinet grossière de l’épicurisme. Et, pour commencer, pourquoi la sagesse intérieure serait-elle nécessairement opposée à la libération politique ? Si ce n’est en prenant pour évident que le libéralisme, qui est l’adversaire politique du collectivisme, est une forme de sagesse, alors que l’autre une forme de déraison… Certes si l’épicurisme est matérialiste, ce n’est certainement pas dans le sens où Althusser le définissait, en 1963 : «Le matérialisme […] est une pensée qui rapporte toutes les formes d’activité à l’activité fondamentale, à la pratique fondamentale d’une formation sociale déterminée, d’un temps déterminé.» Tout à la fin de sa vie, Althusser renonçant à cette vision mécaniste du matérialisme, rédige un texte qu’on a retrouvé après sa mort dans ses papiers : «Ce livre [le DRN] porte sur un thème profond qui court à travers toute l’histoire de la philosophie, et qui a été aussitôt combattu et refoulé qu’il y a été énoncé : la “pluie” (Lucrèce) des atomes d’Épicure qui tombent parallèlement dans le vide, la “pluie” du parallélisme des attributs infinis chez Spinoza, et bien d’autres encore, Machiavel, Hobbes, Rousseau, Marx, Heidegger aussi et Derrida » Althusser aurait pu admettre que l’épicurisme ne se voulait en rien une science, mais une métaphysique, reposant certes sur l’atomisme, comme physique, et sur le bonheur comme éthique. Décortiquant la déclinaison chez Lucrèce, Althusser, stupéfait en découvre les ultimes conséquences philosophiques : «Ce qui implique qu’avant le monde il n’y eût rien, et en même temps que tous les éléments du monde existassent de toute éternité avant qu’aucun monde ne fût. Ce qui implique aussi qu’avant la formation du monde aucun Sens n’existait, ni Cause, ni Fin, ni Raison ni déraison. La non-antériorité du Sens est une thèse fondamentale d’Épicure, en quoi il s’oppose aussi bien à Platon qu’à Aristote.»
Fils d’un pasteur français réfugié aux Pays-Bas, Jacques-Georges de CHAUFFEPIÉ (1702-1786), succ... more Fils d’un pasteur français réfugié aux Pays-Bas, Jacques-Georges de CHAUFFEPIÉ (1702-1786), succède à son père pour exercer successivement son ministère à Flessingue, Delft et, à partir de 1743, à Amsterdam. Au fil des ans, il acquiert une certaine notoriété grâce à ses sermons enflammés, dont certains seront édités, ainsi que pour son érudition et ses talents de traducteur en langue anglaise. Il est surtout connu par son supplément au “Dictionnaire historique et critique” de Pierre BAYLE qui est édité en 1739, par des libraires d’Amsterdam. Quelques années plus tard, en 1758, paraissent “Les Vies des plus illustres philosophes de l’antiquité,” traduites du grec de Diogène Laërce, à Amsterdam encore, en 3 volumes in-12. L’ouvrage lui est attribué, quoique d’aucuns aient estimé qu’il était le fruit du travail d’érudition de l’éditeur lui-même. Quoi qu’il en soit, cette traduction en français vaut encore d’être consultée, bien qu’elles soit parfois en défaut au vu des traductions contemporaines du texte grec que nous proposons en regard dans son édition actuelle. Par exemple, on peut apprécier le style et la tenue de sa traduction de la Vème “Maxime Capitale” : « Il est impossible de vivre agréablement sans la prudence, sans l’honnêteté et sans la justice. La vie de celui qui pratique l’excellence de ces vertus se passe toujours dans le plaisir, de sorte que l’homme qui est assez malheureux pour n’être ni prudent, ni honnête, ni juste, est privé de tout ce qui pouvait faire la félicité de ses jours. »
Casimir-Alexandre Fusil, né en 1871, fait paraître au deuxième semestre de 1937, dans la Revue d’... more Casimir-Alexandre Fusil, né en 1871, fait paraître au deuxième semestre de 1937, dans la Revue d’Histoire littéraire de la France, deux articles consacrés à la réception de Lucrèce par les poètes et les intellectuels académiques en France au 19e siècle (qui déborde classiquement jusqu’en 1914). Les deux articles intitulés «Lucrèce et la pensée française au XIXe siècle», relatent la réception du “de rerum natura” dans deux régions de l’intellectualisme français au 19e siècle : la poésie, le scientisme. Leur mérite n’est pas mince, car ils recensent complètement la présence ou l’influence de ce texte auprès des poètes et des philosophes de cette époque. Souvent critique de réceptions naïves, tronquées, partisanes, fautives – qui sont des lieux communs des « bons esprits » depuis des siècles contre l’épicurisme –, C.-A. Fusil n’est pas exempt lui-même d’erreurs idéologiques, comme l’anachronisme. Dans le chapitre qu’il intitule «Lucrèce et les Philosophes», Fusil examine l’état des recherches érudites du 19e siècle finissant sur l’épicurisme de Lucrèce. De façon très classique, les « beaux esprits » de cette époque butent, comme tous leurs prédécesseurs sur la notion de “clinamen” dont la déviation physique de l’atome sans cause (“fatis avulsa voluntas”, cette volonté arrachée aux destins) c’est-à-dire selon Lucrèce en un lieu et un temps indéterminé, avait déjà fait rire l’auguste Cicéron. Mais, alors que la tradition moquait cette notion, parce qu’elle était une ineptie servant à préserver la liberté d’agir de la nécessité des mouvements atomiques régnant chez Démocrite, Fusil fait valoir qu’elle est incompatible avec les lois mécaniques de la pesanteur. Dès cet instant, Fusil va commettre la faute à laquelle son bon sens affiché de penseur raisonnable croyait échapper : celui de l’anachronisme critique. Il lui était sans doute impossible de reconnaître que Lucrèce ne cherchait en rien à devancer une science et des techniques impossibles en son temps. Ses recherches portaient uniquement – et cela avait de quoi l’occuper – sur la pratique d’une philosophie écartant les troubles du corps et de l’âme; et ses efforts sur la production du miel de la poésie qui la chantait.
Au Moyen Âge, Épicure était surtout connu à travers les pamphlets polémiques de Cicéron (‘De fini... more Au Moyen Âge, Épicure était surtout connu à travers les pamphlets polémiques de Cicéron (‘De finibus’, ‘de natura dei’) et ceux des pères de l’Église. Être épicurien à l’époque de Dante, cela voulait dire nier la providence et l’immortalité de l’âme. Il fallut attendre la fin du XVIe siècle pour que le chanoine Pierre Gassendi restitue les textes de l’épicurisme tels que Diogène Laërce les avait transmis dans son livre X des «Vies et doctrines des philosophes illustres». Ce travail, appelé “Philosophiae Epicuri Syntagma”, a été publié à titre posthume à La Haye De nombreux commentateurs – de Descartes à Marx – ont considéré que pour Gassendi toutes les structures et comportements du monde réel sont explicables par l’interaction de corps matériels, les atomes. La preuve : ses immenses et constants travaux philologiques consacrés à Épicure, un matérialiste notoire ! Pourtant, Gassendi se démarque nettement des opinions qui seraient contraires aux dogmes de l’Église et de l’écriture sainte. Bon nombre de ses jugements sont nuancés à cet égard. On sait désormais que Gassendi s’est plus servi de l’atomisme épicurien pour contrer l’enseignement de la scolastique aristotélicienne de son temps et de son ressort que par adhésion aux théories scientifiques qui en seraient issues. Dans le domaine religieux – obéissance à l’église et à ses enseignements – il s’écarte considérablement des libertins. Gassendi rappelle constamment la nature sacrée des saintes écritures et la nécessité de modifier la pensée épicurienne pour préserver le dogme, dont notamment la Providence.
Le texte des "Meditationes philosophicae de Deo : mundo : homine" de Theodor Ludwig lau, que nous... more Le texte des "Meditationes philosophicae de Deo : mundo : homine" de Theodor Ludwig lau, que nous proposons ici, est la reproduction de l’édition de 1717, dans l’exemplaire détenu à la Bibliothèque du Land de Bavière. Il a été annoté et surchargé à la plume grasse, ce qui en rend parfois le déchiffrement délicat. Lau est un libre penseur vivant à Königsberg, : considéré comme déiste, ou néo-spinoziste, ou matérialiste déguisé, il a connu des hauts (anobli) et des bas (banni et ruiné). Son texte ne manque pas de « finesses » pour tenter de contourner la censure ; sans succès, car son ouvrage sera condamné et brûlé. Il mérite, quoi qu’il en soit, d’être « revisité » comme témoignage des tentatives et des efforts du XVIIe siècle, pour s’affranchir des diktats ecclésiastiques sur toute forme de pensée libre.
Bernard Manin observe que « On interprète souvent le refus de la société d’ordres qui s’exprime d... more Bernard Manin observe que « On interprète souvent le refus de la société d’ordres qui s’exprime dès 1788-1789, en particulier dans les pamphlets de Sieyès, comme l’expression de “l’égalité démocratique”. Or si cette interprétation cerne bien une des significations essentielles de ce qui se joue dans la campagne des pamphlets, elle néglige un autre aspect aussi capital du phénomène : la redéfinition de l’identité collective et des limites de la communauté. Sieyès ne propose pas seulement d’abolir les privilèges dans la société qui va naître, il proclame que les privilégiés d’hier ne font plus partie de la communauté nationale. L’histoire, la tradition, la langue avaient tracé une frontière entre la nation et ceux qui sont en dehors d’elle, entre le peuple et ses ennemis. Sieyès redessine cette frontière, et le succès de sa brochure ‘Qu’est-ce que le Tiers État ?’ montre l’immense écho que rencontre cette position.» En donnant ici le texte du pamphlet de l’abbé Sieyès dans son édition de 1789, on laisse au lecteur de 2025 le soin d’apprécier toute la pertinence des analyses de Bernard Manin.
Du de vue de la connaissance de l'épicurisme, la rubrique de Deslandes dans son Histoire Critique... more Du de vue de la connaissance de l'épicurisme, la rubrique de Deslandes dans son Histoire Critique de la Philosophie, au chapitre XXV, présente peu d’intérêt; et il faudra attendre les philologues allemands du siècle suivant pour progresser dans la connaissance des textes épicuriens. Néanmoins, on est en droit de se poser la question de la fidélité de Deslandes à l’égard de l’épicurisme auquel il avait accès. Dans les domaines de l’éthique, à propos des Dieux et de la religion, il ne fait que reproduire les lieux communs de ses références : Cicéron, Plutarque, etc. Ce qui, par contre, lui reste au travers de la gorge, comme à tant de ses devanciers, c’est le clinamen, la déclinaison des atomes, parce que, selon lui, elle est contraire aux lois de l’univers. On retrouve chez Deslandes la critique de Cicéron : si la chute en ligne droite est essentielle aux corps, alors le clinamen viole l’essence de la matière ; si elle ne l’est pas, nul besoin du clinamen pour expliquer la génération des corps, le “premier moteur” y suffit. Les deux principes sont contradictoires. Mais pour les Épicuriens, le clinamen est aussi nécessaire, immuable et essentielle que la chute en ligne droite, ou que la ligne perpendiculaire : tout ce qui est matière est soumis à la nécessité physique (des lois nécessaires immuables et invincibles), au contraire de la liberté humaine qui doit être recherchée dans un être incorporel, une puissance supérieure aux corps et aux esprits.
Rome, la Grèce et les monarchies hellénistiques au IIIe siècle avant J.-C. , 2025
«Rome, la Grèce et les monarchies hellénistiques au IIIe siècle avant J.-C. (273-205)», est la th... more «Rome, la Grèce et les monarchies hellénistiques au IIIe siècle avant J.-C. (273-205)», est la thèse de doctorat que Maurice Holleaux soutint en 1923 à l’âge de 62 ans ; cependant, il en avait publié l’essentiel, en 1920. Nous en proposons une nouvelle édition. Maurice Holleaux, qui est à cette époque, plus critique des sources historiographiques (Polybe, Tite-LiveAppien) que proprement épigraphiques, a été néanmoins le maître de Louis Robert, professeur comme lui au collège de France, véritable fondateur de l’épigraphie scientifique. L’assertion fondamentale de sa thèse est que Rome n’a pas délibérément posé son emprise sur l’orient hellénistique, mais a opportunément organisé son empire suivant l’aléa des évènements. En cela, il introduisait dans l’histoire une contingence originale. Original est aussi le style de ses écrits : classique jusqu'au maniérisme… qui a été grandement perdu depuis par les rédacteurs académiques en français ! Au copieux index thématique original (plus de 3 500 renvois), nous avons ajouté : - un index des auteurs cités ; - une annexe comprenant de larges extraits de trois chapitres de l’«Histoire romaine» d’Appien, difficilement accessibles, et dont M. Holleaux a fait grand usage, dans des éditions déjà dépassées : * Ἰλλυρική; * Μακεδονική; * Συριακή.
Raymond Radiguet est né en 1903 et est mort à 20 ans, d’une fièvre typhoïde, en 1923. Il fit la c... more Raymond Radiguet est né en 1903 et est mort à 20 ans, d’une fièvre typhoïde, en 1923. Il fit la connaissance de Jean Cocteau, André Breton, Max Jacob, Paul Morand, Érik Satie et Francis Poulenc. Le “Diable au corps” parut pour la première fois chez Bernard Grasset en 1923. Le succès est immédiat et le livre fit scandale. Radiguet n’a publié qu’un seul autre roman, "Le Bal du comte d’Orgel", paru peu après sa mort. Il circule sur les sites d'achat en ligne (Amazon pour ne pas le citer) des éditions piratées, grossières, par des fumistes italiens, n'ayant aucune notion des règles de ponctuation et d'édition du français. Nous reproduisons ici scrupuleusement – le texte magistral – de l'édition “princeps” par Grasset en 1923.
Claude-Adrien Helvétius, (1715-1771), est souvent qualifié de « matérialiste des Lumières » par c... more Claude-Adrien Helvétius, (1715-1771), est souvent qualifié de « matérialiste des Lumières » par ceux qui interprètent son livre “De l’Homme”, paru, à sa demande, en 1772, après sa mort. Pourquoi cette demande ? C’est que la parution de “l’Esprit”, en 1758, fit scandale, et le livre fut brûlé après avoir été condamné par le Pape et la Sorbonne. Avant de passer à la philosophie, il fut fermier général (1738-1751). Avant de se marier (1751), il était déjà fort riche. Après une éclipse de son vivant, on attribue au livre d'Helvétius une influence sur : Bentham, Albert de Mun, Hegel, Schopenhauer, Nietzsche… un autre fatras idéologique ! Dans la sphère marxiste, Louis Althusser estime que : « Si, effectivement, les hommes deviennent des sots, s’ils deviennent des faux, ou s’ils deviennent des génies, parce qu’ils vivent sous telle ou telle forme de gouvernement, si la démonstration est faite de la toute-puissance du gouvernement sur la formation et sur le destin des individus, la conclusion qu’en tire Helvétius est radicale, mais elle est très simple : il suffit de changer la forme de gouvernement pour changer la nature humaine et le destin de tous les individus.» Convenons-en, il ne suffit pas de changer la forme du gouvernement pour changer la nature humaine… Et Althusser en savait quelque chose !
Théodore Dézamy (1808-1850) est regardé comme un proto-socialiste, un communiste datant d’avant l... more Théodore Dézamy (1808-1850) est regardé comme un proto-socialiste, un communiste datant d’avant le marxisme, dont Marx lui-même dans ‘La Sainte Famille’, dit de lui qu’il a développé la doctrine du matérialisme “en tant que doctrine de l’humanisme réel et base logique du communisme”. Ce qui ne veut pas dire grand-chose… sauf qu’il ne serait pas un marxiste scientifique, mais un communiste utopiste. Mais, dans son ‘Code de la communauté’, quelle est son ambition ? Il la résume dès son introduction : “Les principes que j’aurai exposés dans ce Code seront résumés, à la dernière feuille, par un projet de constitution sociale et politique.” Il s’agit donc d’élaborer un code – nous dirions aujourd’hui une constitution – communautariste, qu’il appelle également communiste. Il place clairement sa réflexion sur le terrain juridico-politique. Mais cette réflexion n’est pas pure rêverie, flottant au-dessus des réalités historiques, sociales, économiques telles que découvertes par les sciences actuelles. Elle repose sur des principes philosophiques et moraux qu’il appelle des vérités primordiales. Elles sont le produit d’un matérialisme atomiste, mécaniste, plutôt radical, sans cause initiale ni finale, sans démiurge donc, sans providence, ni destin, ni, apparemment, libre-arbitre. Son ‘credo’ politique et social repose sur des convictions intangibles : - la priorité et l’éternité de la nature ; - la liberté inaliénable des hommes ; - la fraternité naturelle des hommes ; - le primat du collectif sur l’individu ; - l’a priori du progrès social par la progression des sciences mises à son service. L’histoire des sociétés humaines aux XIXe et XXe siècles lui a-t-elle donné tort ? Ne fut-il qu’un communiste utopiste de plus ? Nous ferions bien de nous garder d’une critique sévère et superbe à l’encontre de ses analyses et de ses anticipations. Car l’utopisme de Démazy est plein de prémonitions lucides. On en fera une lecture édifiante. Laissons le mot de la fin à Rabelais, que cite Dézamy : “fay ce que vouldras.”
Lorsque La Mothe Le Vayer rédige ses ‘Cinq dialogues faits à l’imitation des Anciens’, il a déjà ... more Lorsque La Mothe Le Vayer rédige ses ‘Cinq dialogues faits à l’imitation des Anciens’, il a déjà dépassé la quarantaine. Dans ces textes, celui que dès les années 1940, un universitaire français a qualifié de « libertin érudit », se veut plutôt sceptique à la manière de Montaigne suivant Pyrrhon. À le lire on pourrait penser qu’il est éclectique d’abord. Mais érudit, à coup sûr, tant il fait montre de sa culture des auteurs classiques. Car, malgré son dédain des « pédants contentieux », il accumule les références à Aristote, Cicéron, Aulu-Gelle, Épictète, Diogène Laërce, Sénèque surtout. Mais La Mothe Le Vayer se servirait-il de ce maître stoïcien comme d’un faux-nez pour avancer masquée sa tentation ultérieure vers l’épicurisme ? Certes, il suggère une familiarité avec deux thèses majeures de l’épicurisme (la mort n’est rien pour nous ; les dieux existent mais jouissant de leur béatitude, ils sont indifférents aux hommes), lorsqu’il cite Lucrèce, mais on peut douter de son allégeance précoce au Jardin, tant il semblerait pratiquer, paradoxalement, le λάθε βιώσας épicurien, sous la forme d’Ovide “bene qui latuit bene uixi”. S’il s’agit bien d’un mode de vie, il ne s’agit pas encore d’un principe philosophique. Mais à la différence de l’Alceste de Molière, qui s’attriste et se révolte : “je hais tous les hommes”, La Mothe Le Vayer ne méprise pas la multitude “pourvu que mon âme puisse conserver sa liberté”, fait-il dire à l'un de ses interlocuteurs.
Anthony Ashley-Cooper (1671–1713), comte de Shaftesbury, passe pour philosophe, alors qu’il est p... more Anthony Ashley-Cooper (1671–1713), comte de Shaftesbury, passe pour philosophe, alors qu’il est plutôt « théologue ». Le concept qu’il développa fut le ‘ridicule’. Shaftestbury tolère que les Épicuriens, les Académiciens et d’autres se liguassent pour fronder les sottises régnantes. Mais, pour lui, Épicure reste un « indévot », c’est-à-dire un impie. Ce qu’il ne supporte pas chez lui, et qu’il reproche directement à Lucrèce, c’est qu’il niât que les principes de la religion fussent naturels. En fin de compte, le ridicule serait de nier la Providence, sans … enthousiasme. Certainement, Shaftebury n’a cure de l’épicurisme qui, comme à tous les dévots à travers les siècles, représente l’athéisme déguisé, rampant et honni. Sa morale peut se résumer à ce que Théophile Gautier dit de Tiburce dans “La Toison d’or” : « Ses idées sur toutes choses étaient fort simples : il aimait mieux ne rien faire que de travailler ; il préférait le bon vin à la piquette, et une belle femme à une laide ; en histoire naturelle, il avait une classification on ne plus succincte : ce qui se mange et ce qui ne se mange pas.»
“François le Champi” est-il un petit récit édifiant à raconter aux enfants ? Le dénouement — un e... more “François le Champi” est-il un petit récit édifiant à raconter aux enfants ? Le dénouement — un enfant sage qui épouse sa mère adoptive — est-il œdipien ? La mater dolorosa berrichonne était-elle naïve ? Marcel Proust, quant à lui, a finalement associé ce récit à celui de sa relation maternelle. À chacun ses lectures…
Cyrano de Bergerac, à propos de la physique, déclare : « Ce mot physique est originaire de Grèce ... more Cyrano de Bergerac, à propos de la physique, déclare : « Ce mot physique est originaire de Grèce : il signifie seulement naturelle, mais il sous-entend science, comme qui dirait science naturelle, c’est-à-dire une connaissance de tout ce qui est dans la nature. Quiconque y aspire se propose pour but de savoir l’état de toutes les choses et la cause des changements qu’on y remarque. Or, pour connaître la cause de ces changements, cela dépend des premières connaissances que nous avons des objets, ou de leurs simples appréhensions, sur lesquelles ensuite se forment tous nos raisonnements ; car, si cette dépendance n’était point nécessaire, comment serait-il possible de pénétrer dans les propriétés des choses qui n’auraient fait aucune impression sur nous ? C’est donc une nécessité d’observer ce que les objets causent en nous, avant de rechercher ce qu’ils sont en eux-mêmes. » Cyrano de Bergerac, outre un bretteur à tirades, a montré qu'il était aussi un “libertin érudit”. Son “Fragment de Physique”, peu connu, en témoigne.
On ne saurait reprocher à Malebranche d’inscrire ses “Entretiens sur la métaphysique, sur la reli... more On ne saurait reprocher à Malebranche d’inscrire ses “Entretiens sur la métaphysique, sur la religion, et sur la mort” dans un cadre circonscrit à la métaphysique. Mais on ne saurait non plus reprocher à de La Mettrie son analyse sévère du “système principal du P. Malebranche” : « De telles visions ne méritent pas sans doute d’être sérieusement réfutées. Qui pourrait seulement imaginer ce qu’un cerveau brûlé par des méditations abstraites croit concevoir ? » Qu’est-ce qui fait que le père Malebranche et le médecin La Mettrie ne peuvent certainement pas s’entendre ? Le “système” de Malebranche, qui est sa métaphysique, est inconciliable avec les observations médicales de La Mettrie, qui sont les données scientifiques de son temps. Malebranche, qui dans la forme de ses “Entretiens” emprunte aux œuvres morales de Plutarque et à celles philosophiques de Cicéron, leur emprunte aussi la certitude que leur idéalisme est le fondement du réel illuminé par la providence. Et que la matière (le corps) n’est en aucun cas le lieu de la vérité (l’esprit). Car, affirme-t-il : « nul corps ne peut résister à un esprit ». Tout comme ceux-ci, Malebranche a pris les vessies de sa métaphysique pour des lanternes actuelles.
La Mettrie, (1709–1751) est considéré par la tradition comme le représentant le plus radical du m... more La Mettrie, (1709–1751) est considéré par la tradition comme le représentant le plus radical du matérialisme mécaniste des Lumières. Il fut aussi un médecin formé aux écoles d’avant-garde de Hollande. Il est l’auteur de très nombreux ouvrages dont le plus célèbre est l’“Homme Machine” (1747), dans lequel il présente un déterminisme radical inspiré de l’homme-machine de Descartes, mais où il n’y a plus aucune place pour l’idée de Dieu. Il fait paraître en 1750 des considérations qu’il intitule “Système d’Épicure”. Entre les deux, en 1745, est parue une “Histoire naturelle de l’âme”. Si dans l’“Homme Machine”, La Mettrie emprunte à Descartes, dans l’“Histoire naturelle de l’âme,” il a abandonné le mécanisme cartésien, au profit de l’empirisme de Locke, relayé en France par Mme du Châtelet et Voltaire, lequel il vénère tel un génie. Dans le texte – de transition – de l’“Histoire naturelle de l’âme”, ce qui lui répugne, c’est ce qu’il croit voir latent chez Spinoza : « Ne connaissant ni Dieu, ni âme, cartésien outré, il fait de l’homme même un véritable automate, une machine assujettie à la plus constante nécessité, entraînée par un impétueux futalisme, comme un vaisseau, par le courant des eaux. La sagesse, l’honneur, la probité, la vertu ne sont que de vains sons, tout est hasard, ou destin. Il n’y a ni bien, ni mal, ni juste, ni injuste, ni ordre, ni désordre ; la nature y réclame en vain ses droits, et la conscience même y est totalement étouffée. »
Dans sa préface aux “Epicurea,” Hermann Usener écrit : «Epicuro ut operam darem, non philosophia... more Dans sa préface aux “Epicurea,” Hermann Usener écrit : «Epicuro ut operam darem, non philosophiae Epicureae me admiratio commovit, sed ut accidit homini grammatico, librorum a Laertio Diogene seruatorum obscuritas et difficultas.» C’est pourquoi il a réalisé une nouvelle édition du livre X de Diogène Laërce. Chemin faisant, il rencontrera dans le corpus des auteurs antiques nombre de citations attribuées à Épicure ; et il entreprendra de les classer par thématiques. Ce monumental travail d'érudition et de recherche des sources est depuis devenu la référence pour ces fragments. Nous en donnons ici une courte sélection, de ceux qui nous ont semblé les plus communs ou les plus représentatifs, placés en regard de traductions accessibles aisément au lecteur de langue française.
En 1650, Michel de Marolles (1600–1681), abbé de Villeloin, fait paraître “Le Poète Lucrèce, lati... more En 1650, Michel de Marolles (1600–1681), abbé de Villeloin, fait paraître “Le Poète Lucrèce, latin et françois”, où il donne une traduction de “La Nature des choses” à partir essentiellement de l'édition de Lambin. L’une et l'autre (l’édition et la traduction) sont désormais vétustes, dépassées, démodées. Par contre, la préface de l’ouvrage, assortie d'une notice consacrée à la vie de Lucrèce, présentent un état caractéristique de la réception de l’épicurisme au milieu du XVIe siècle, et de l’érudition grecque, et surtout latine, de l’époque. Nous en donnons une version en français actuel.
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Hertzberg est un historien « classique » du milieu du XIXe siècle allemand : ses sources sont essentiellement littéraires ; il a quasiment lu tous les auteurs grecs ou latins qui évoquent les lieux, les évènements, les personnages de la période historique concernée (de la bataille de Cynoscéphales en 197 à celle d’Actium en 31), et s’est servi des rares documents épigraphiques disponibles à son époque.
Hertzberg n’est pas dépourvu d’a priori idéologique, et d’anachronisme méthodologique. Le “spectre du communisme hante” ses réflexions. Il écrit notamment : « le cri de ralliement des communistes d’alors : la destruction des livres de créances et un nouveau partage des terres ! »
On croirait lire un pamphlet contre les thèses de Marx sur l’enclosure en Angleterre, ou les menées de révolutionnaires zapatistes !
Cet anachronisme nourrit la thèse historique centrale d’Hertzberg sur le déclin de la Grèce pendant cette période qui est le fait des Grecs eux-mêmes, plus que de la voracité impérialiste des Romains.
Autrement dit, si les États allemands du XIXe siècle ne veulent pas subir le sort de ceux de la Grèce hellénistique, qu’ils sachent se tenir dignement contre le communisme insufflé par Marx depuis un pays concurrent et dominateur.
Séduit, comme beaucoup de latinistes avant lui, par la beauté du poème de Lucrèce, il est conduit à en rechercher la portée philosophique à travers l’étude de l’épicurisme. L’article L’épicurisme dans la société et la littérature romaines, publié dans le Bulletin de l’Association Guillaume Budé en décembre 1960, marque le début de cette démarche.
L’époque est aussi celle d’âpres luttes idéologiques entre les intellectuels marxisants, orthodoxes ou non, et les autres. Althusser et Sartre font partie des uns, Boyancé des autres. Les uns refusent le Prix Nobel ou sont de simples répétiteurs rue d’Ulm, les autres des notables universitaires.
Boyancé déclare, parlant de l’analyse économico-sociale des marxistes d’avant-guerre portant sur Lucrèce :
«En postulant le primat de l’économique et du social, elle va à l’encontre même de leur esprit qui est la primauté du spirituel et du moral.»
On est en droit de se demander si la critique d’un marxisme, effectivement caricatural, n’est pas elle-même une vision un tantinet grossière de l’épicurisme. Et, pour commencer, pourquoi la sagesse intérieure serait-elle nécessairement opposée à la libération politique ? Si ce n’est en prenant pour évident que le libéralisme, qui est l’adversaire politique du collectivisme, est une forme de sagesse, alors que l’autre une forme de déraison…
Certes si l’épicurisme est matérialiste, ce n’est certainement pas dans le sens où Althusser le définissait, en 1963 :
«Le matérialisme […] est une pensée qui rapporte toutes les formes d’activité à l’activité fondamentale, à la pratique fondamentale d’une formation sociale déterminée, d’un temps déterminé.»
Tout à la fin de sa vie, Althusser renonçant à cette vision mécaniste du matérialisme, rédige un texte qu’on a retrouvé après sa mort dans ses papiers :
«Ce livre [le DRN] porte sur un thème profond qui court à travers toute l’histoire de la philosophie, et qui a été aussitôt combattu et refoulé qu’il y a été énoncé : la “pluie” (Lucrèce) des atomes d’Épicure qui tombent parallèlement dans le vide, la “pluie” du parallélisme des attributs infinis chez Spinoza, et bien d’autres encore, Machiavel, Hobbes, Rousseau, Marx, Heidegger aussi et Derrida »
Althusser aurait pu admettre que l’épicurisme ne se voulait en rien une science, mais une métaphysique, reposant certes sur l’atomisme, comme physique, et sur le bonheur comme éthique. Décortiquant la déclinaison chez Lucrèce, Althusser, stupéfait en découvre les ultimes conséquences philosophiques :
«Ce qui implique qu’avant le monde il n’y eût rien, et en même temps que tous les éléments du monde existassent de toute éternité avant qu’aucun monde ne fût. Ce qui implique aussi qu’avant la formation du monde aucun Sens n’existait, ni Cause, ni Fin, ni Raison ni déraison. La non-antériorité du Sens est une thèse fondamentale d’Épicure, en quoi il s’oppose aussi bien à Platon qu’à Aristote.»
Quelques années plus tard, en 1758, paraissent “Les Vies des plus illustres philosophes de l’antiquité,” traduites du grec de Diogène Laërce, à Amsterdam encore, en 3 volumes in-12. L’ouvrage lui est attribué, quoique d’aucuns aient estimé qu’il était le fruit du travail d’érudition de l’éditeur lui-même.
Quoi qu’il en soit, cette traduction en français vaut encore d’être consultée, bien qu’elles soit parfois en défaut au vu des traductions contemporaines du texte grec que nous proposons en regard dans son édition actuelle. Par exemple, on peut apprécier le style et la tenue de sa traduction de la Vème “Maxime Capitale” :
« Il est impossible de vivre agréablement sans la prudence, sans l’honnêteté et sans la justice. La vie de celui qui pratique l’excellence de ces vertus se passe toujours dans le plaisir, de sorte que l’homme qui est assez malheureux pour n’être ni prudent, ni honnête, ni juste, est privé de tout ce qui pouvait faire la félicité de ses jours. »
Les deux articles intitulés «Lucrèce et la pensée française au XIXe siècle», relatent la réception du “de rerum natura” dans deux régions de l’intellectualisme français au 19e siècle : la poésie, le scientisme. Leur mérite n’est pas mince, car ils recensent complètement la présence ou l’influence de ce texte auprès des poètes et des philosophes de cette époque. Souvent critique de réceptions naïves, tronquées, partisanes, fautives – qui sont des lieux communs des « bons esprits » depuis des siècles contre l’épicurisme –, C.-A. Fusil n’est pas exempt lui-même d’erreurs idéologiques, comme l’anachronisme.
Dans le chapitre qu’il intitule «Lucrèce et les Philosophes», Fusil examine l’état des recherches érudites du 19e siècle finissant sur l’épicurisme de Lucrèce. De façon très classique, les « beaux esprits » de cette époque butent, comme tous leurs prédécesseurs sur la notion de “clinamen” dont la déviation physique de l’atome sans cause (“fatis avulsa voluntas”, cette volonté arrachée aux destins) c’est-à-dire selon Lucrèce en un lieu et un temps indéterminé, avait déjà fait rire l’auguste Cicéron. Mais, alors que la tradition moquait cette notion, parce qu’elle était une ineptie servant à préserver la liberté d’agir de la nécessité des mouvements atomiques régnant chez Démocrite, Fusil fait valoir qu’elle est incompatible avec les lois mécaniques de la pesanteur. Dès cet instant, Fusil va commettre la faute à laquelle son bon sens affiché de penseur raisonnable croyait échapper : celui de l’anachronisme critique.
Il lui était sans doute impossible de reconnaître que Lucrèce ne cherchait en rien à devancer une science et des techniques impossibles en son temps. Ses recherches portaient uniquement – et cela avait de quoi l’occuper – sur la pratique d’une philosophie écartant les troubles du corps et de l’âme; et ses efforts sur la production du miel de la poésie qui la chantait.
Il fallut attendre la fin du XVIe siècle pour que le chanoine Pierre Gassendi restitue les textes de l’épicurisme tels que Diogène Laërce les avait transmis dans son livre X des «Vies et doctrines des philosophes illustres».
Ce travail, appelé “Philosophiae Epicuri Syntagma”, a été publié à titre posthume à La Haye
De nombreux commentateurs – de Descartes à Marx – ont considéré que pour Gassendi toutes les structures et comportements du monde réel sont explicables par l’interaction de corps matériels, les atomes.
La preuve : ses immenses et constants travaux philologiques consacrés à Épicure, un matérialiste notoire ! Pourtant, Gassendi se démarque nettement des opinions qui seraient contraires aux dogmes de l’Église et de l’écriture sainte. Bon nombre de ses jugements sont nuancés à cet égard. On sait désormais que Gassendi s’est plus servi de l’atomisme épicurien pour contrer l’enseignement de la scolastique aristotélicienne de son temps et de son ressort que par adhésion aux théories scientifiques qui en seraient issues.
Dans le domaine religieux – obéissance à l’église et à ses enseignements – il s’écarte considérablement des libertins. Gassendi rappelle constamment la nature sacrée des saintes écritures et la nécessité de modifier la pensée épicurienne pour préserver le dogme, dont notamment la Providence.
Lau est un libre penseur vivant à Königsberg, : considéré comme déiste, ou néo-spinoziste, ou matérialiste déguisé, il a connu des hauts (anobli) et des bas (banni et ruiné).
Son texte ne manque pas de « finesses » pour tenter de contourner la censure ; sans succès, car son ouvrage sera condamné et brûlé.
Il mérite, quoi qu’il en soit, d’être « revisité » comme témoignage des tentatives et des efforts du XVIIe siècle, pour s’affranchir des diktats ecclésiastiques sur toute forme de pensée libre.
En donnant ici le texte du pamphlet de l’abbé Sieyès dans son édition de 1789, on laisse au lecteur de 2025 le soin d’apprécier toute la pertinence des analyses de Bernard Manin.
Mais pour les Épicuriens, le clinamen est aussi nécessaire, immuable et essentielle que la chute en ligne droite, ou que la ligne perpendiculaire : tout ce qui est matière est soumis à la nécessité physique (des lois nécessaires immuables et invincibles), au contraire de la liberté humaine qui doit être recherchée dans un être incorporel, une puissance supérieure aux corps et aux esprits.
Maurice Holleaux, qui est à cette époque, plus critique des sources historiographiques (Polybe, Tite-LiveAppien) que proprement épigraphiques, a été néanmoins le maître de Louis Robert, professeur comme lui au collège de France, véritable fondateur de l’épigraphie scientifique.
L’assertion fondamentale de sa thèse est que Rome n’a pas délibérément posé son emprise sur l’orient hellénistique, mais a opportunément organisé son empire suivant l’aléa des évènements. En cela, il introduisait dans l’histoire une contingence originale.
Original est aussi le style de ses écrits : classique jusqu'au maniérisme… qui a été grandement perdu depuis par les rédacteurs académiques en français !
Au copieux index thématique original (plus de 3 500 renvois), nous avons ajouté :
- un index des auteurs cités ;
- une annexe comprenant de larges extraits de trois chapitres de l’«Histoire romaine» d’Appien, difficilement accessibles, et dont M. Holleaux a fait grand usage, dans des éditions déjà dépassées :
* Ἰλλυρική;
* Μακεδονική;
* Συριακή.
Il circule sur les sites d'achat en ligne (Amazon pour ne pas le citer) des éditions piratées, grossières, par des fumistes italiens, n'ayant aucune notion des règles de ponctuation et d'édition du français.
Nous reproduisons ici scrupuleusement – le texte magistral – de l'édition “princeps” par Grasset en 1923.
Avant de passer à la philosophie, il fut fermier général (1738-1751). Avant de se marier (1751), il était déjà fort riche.
Après une éclipse de son vivant, on attribue au livre d'Helvétius une influence sur : Bentham, Albert de Mun, Hegel, Schopenhauer, Nietzsche… un autre fatras idéologique !
Dans la sphère marxiste, Louis Althusser estime que : « Si, effectivement, les hommes deviennent des sots, s’ils deviennent des faux, ou s’ils deviennent des génies, parce qu’ils vivent sous telle ou telle forme de gouvernement, si la démonstration est faite de la toute-puissance du gouvernement sur la formation et sur le destin des individus, la conclusion qu’en tire Helvétius est radicale, mais elle est très simple : il suffit de changer la forme de gouvernement pour changer la nature humaine et le destin de tous les individus.»
Convenons-en, il ne suffit pas de changer la forme du gouvernement pour changer la nature humaine… Et Althusser en savait quelque chose !
Mais, dans son ‘Code de la communauté’, quelle est son ambition ? Il la résume dès son introduction :
“Les principes que j’aurai exposés dans ce Code seront résumés, à la dernière feuille, par un projet de constitution sociale et politique.”
Il s’agit donc d’élaborer un code – nous dirions aujourd’hui une constitution – communautariste, qu’il appelle également communiste. Il place clairement sa réflexion sur le terrain juridico-politique.
Mais cette réflexion n’est pas pure rêverie, flottant au-dessus des réalités historiques, sociales, économiques telles que découvertes par les sciences actuelles. Elle repose sur des principes philosophiques et moraux qu’il appelle des vérités primordiales.
Elles sont le produit d’un matérialisme atomiste, mécaniste, plutôt radical, sans cause initiale ni finale, sans démiurge donc, sans providence, ni destin, ni, apparemment, libre-arbitre.
Son ‘credo’ politique et social repose sur des convictions intangibles :
- la priorité et l’éternité de la nature ;
- la liberté inaliénable des hommes ;
- la fraternité naturelle des hommes ;
- le primat du collectif sur l’individu ;
- l’a priori du progrès social par la progression des sciences mises à son service.
L’histoire des sociétés humaines aux XIXe et XXe siècles lui a-t-elle donné tort ? Ne fut-il qu’un communiste utopiste de plus ?
Nous ferions bien de nous garder d’une critique sévère et superbe à l’encontre de ses analyses et de ses anticipations. Car l’utopisme de Démazy est plein de prémonitions lucides. On en fera une lecture édifiante.
Laissons le mot de la fin à Rabelais, que cite Dézamy :
“fay ce que vouldras.”
Certes, il suggère une familiarité avec deux thèses majeures de l’épicurisme (la mort n’est rien pour nous ; les dieux existent mais jouissant de leur béatitude, ils sont indifférents aux hommes), lorsqu’il cite Lucrèce, mais on peut douter de son allégeance précoce au Jardin, tant il semblerait pratiquer, paradoxalement, le λάθε βιώσας épicurien, sous la forme d’Ovide “bene qui latuit bene uixi”. S’il s’agit bien d’un mode de vie, il ne s’agit pas encore d’un principe philosophique. Mais à la différence de l’Alceste de Molière, qui s’attriste et se révolte : “je hais tous les hommes”, La Mothe Le Vayer ne méprise pas la multitude “pourvu que mon âme puisse conserver sa liberté”, fait-il dire à l'un de ses interlocuteurs.
Mais, pour lui, Épicure reste un « indévot », c’est-à-dire un impie. Ce qu’il ne supporte pas chez lui, et qu’il reproche directement à Lucrèce, c’est qu’il niât que les principes de la religion fussent naturels.
En fin de compte, le ridicule serait de nier la Providence, sans … enthousiasme. Certainement, Shaftebury n’a cure de l’épicurisme qui, comme à tous les dévots à travers les siècles, représente l’athéisme déguisé, rampant et honni. Sa morale peut se résumer à ce que Théophile Gautier dit de Tiburce dans “La Toison d’or” : « Ses idées sur toutes choses étaient fort simples : il aimait mieux ne rien faire que de travailler ; il préférait le bon vin à la piquette, et une belle femme à une laide ; en histoire naturelle, il avait une classification on ne plus succincte : ce qui se mange et ce qui ne se mange pas.»
Marcel Proust, quant à lui, a finalement associé ce récit à celui de sa relation maternelle.
À chacun ses lectures…
Quiconque y aspire se propose pour but de savoir l’état de toutes les choses et la cause des changements qu’on y remarque. Or, pour connaître la cause de ces changements, cela dépend des premières connaissances que nous avons des objets, ou de leurs simples appréhensions, sur lesquelles ensuite se forment tous nos raisonnements ; car, si cette dépendance n’était point nécessaire, comment serait-il possible de pénétrer dans les propriétés des choses qui n’auraient fait aucune impression sur nous ? C’est donc une nécessité d’observer ce que les objets causent en nous, avant de rechercher ce qu’ils sont en eux-mêmes. »
Cyrano de Bergerac, outre un bretteur à tirades, a montré qu'il était aussi un “libertin érudit”. Son “Fragment de Physique”, peu connu, en témoigne.
Mais on ne saurait non plus reprocher à de La Mettrie son analyse sévère du “système principal du P. Malebranche” : « De telles visions ne méritent pas sans doute d’être sérieusement réfutées. Qui pourrait seulement imaginer ce qu’un cerveau brûlé par des méditations abstraites croit concevoir ? » Qu’est-ce qui fait que le père Malebranche et le médecin La Mettrie ne peuvent certainement pas s’entendre ?
Le “système” de Malebranche, qui est sa métaphysique, est inconciliable avec les observations médicales de La Mettrie, qui sont les données scientifiques de son temps.
Malebranche, qui dans la forme de ses “Entretiens” emprunte aux œuvres morales de Plutarque et à celles philosophiques de Cicéron, leur emprunte aussi la certitude que leur idéalisme est le fondement du réel illuminé par la providence. Et que la matière (le corps) n’est en aucun cas le lieu de la vérité (l’esprit). Car, affirme-t-il : « nul corps ne peut résister à un esprit ».
Tout comme ceux-ci, Malebranche a pris les vessies de sa métaphysique pour des lanternes actuelles.
Entre les deux, en 1745, est parue une “Histoire naturelle de l’âme”. Si dans l’“Homme Machine”, La Mettrie emprunte à Descartes, dans l’“Histoire naturelle de l’âme,” il a abandonné le mécanisme cartésien, au profit de l’empirisme de Locke, relayé en France par Mme du Châtelet et Voltaire, lequel il vénère tel un génie.
Dans le texte – de transition – de l’“Histoire naturelle de l’âme”, ce qui lui répugne, c’est ce qu’il croit voir latent chez Spinoza : « Ne connaissant ni Dieu, ni âme, cartésien outré, il fait de l’homme même un véritable automate, une machine assujettie à la plus constante nécessité, entraînée par un impétueux futalisme, comme un vaisseau, par le courant des eaux. La sagesse, l’honneur, la probité, la vertu ne sont que de vains sons, tout est hasard, ou destin. Il n’y a ni bien, ni mal, ni juste, ni injuste, ni ordre, ni désordre ; la nature y réclame en vain ses droits, et la conscience même y est totalement étouffée. »
C’est pourquoi il a réalisé une nouvelle édition du livre X de Diogène Laërce.
Chemin faisant, il rencontrera dans le corpus des auteurs antiques nombre de citations attribuées à Épicure ; et il entreprendra de les classer par thématiques. Ce monumental travail d'érudition et de recherche des sources est depuis devenu la référence pour ces fragments.
Nous en donnons ici une courte sélection, de ceux qui nous ont semblé les plus communs ou les plus représentatifs, placés en regard de traductions accessibles aisément au lecteur de langue française.
Par contre, la préface de l’ouvrage, assortie d'une notice consacrée à la vie de Lucrèce, présentent un état caractéristique de la réception de l’épicurisme au milieu du XVIe siècle, et de l’érudition grecque, et surtout latine, de l’époque.
Nous en donnons une version en français actuel.