Initials MM (Marilyn chez les autres) Éric Thouvenel « Nous pouvons maintenant dégager un des traits fondamentaux du culte des stars. Fétichistes, mentales, mystiques, l'appropriation, l'assimilation et la dévoration sont des modes divers...
moreInitials MM (Marilyn chez les autres) Éric Thouvenel « Nous pouvons maintenant dégager un des traits fondamentaux du culte des stars. Fétichistes, mentales, mystiques, l'appropriation, l'assimilation et la dévoration sont des modes divers d'identification 1. » S'il est quelqu'un qui a été vu, revu, repris, caricaturé, rêvé, réinventé dans la vaste histoire des images et plus précisément dans celle des images en mouvement, c'est bien Marilyn Monroe. Hormis peut-être Jésus de Nazareth et Ernesto Che Gevara, en effet, il n'est guère de personnalités qui soient parvenues, avec ou-le plus souvent-sans leur consentement, à un tel degré d'incandescence ou de saturation iconographique. Pour le formuler de façon un peu plus prosaïque, on pourrait dire que les représentations post mortem de l'actrice Norma Jean Baker (1926-1962), mieux connue sous le nom de Marilyn Monroe, dépassent allègrement le nombre des rôles qu'elle a effectivement interprétés au long de sa courte et fulgurante carrière, soit trente-trois longs métrages tournés entre 1947 et 1962, dont six où elle ne fut pas créditée au générique, et un qui n'a jamais été achevé. Marilyn Monroe est ce qu'il est banalement convenu d'appeler une « icône du XX e siècle ». Un siècle dont il est tout aussi banal de rappeler que les personnages médiatiques, au premier rang desquels les stars de cinéma, y ont fait figure d'idoles autant que d'icônes, comme autant de contrepoids matérialistes et un peu dérisoires au sentiment de la perte du Sacré. Un siècle au cours duquel les églises se vident, mais où les magasins se remplissent et où pullulent les représentations, comme celles du visage et du corps de Marilyn Monroe, au cinéma bien sûr mais également sur les cimaises des musées (Andy warhol, passim), sur des affiches, des T-shirts, des tasses à café, des porte-clés, des tapis de souris, des bougies, des boîtes de gâteaux, des crayons, des serviettes de bain, etc., etc. L'image de Marilyn Monroe figure donc, et particulièrement depuis son décès tragique, sur toutes sortes d'objets de consommation courante. Mais elle est aussi, depuis une dizaine d'années au moins, très en vogue au-delà du cercle de la culture populaire. Les quarantième et cinquantième anniversaires de sa mort, en 2003 et 2013, ont en effet fourni l'occasion de multiplier les hommages et d'entamer, puis d'entériner, ce que l'on peut qualifier de véritable procès en révision. Qu'il s'agisse en effet de romans 2 , d'expositions 3 , de la publication de ses écrits intimes 4 ou encore d'ouvrages photographiques, d'articles de presse, de films documentaires 5 ou de biopics 6 , c'est en gros une seule et même idée qui prévaut aujourd'hui, réitérée jusqu'à la caricature : nous serions passés, des années durant, à côté de la « véritable » Marilyn Monroe, qu'il faudrait donc réhabiliter d'urgence, pour faire apparaître derrière la Dumb Blonde et le Sex Symbol, non seulement une grande actrice (ce qu'elle était, sans doute), mais presque un génie méconnu, en publiant par exemple la moindre de ses lettres ou de ses poèmes, fort touchants au demeurant. Si l'on s'astreint, néanmoins, à observer tout ensemble l'actrice, la jeune femme et le phénomène médiatique avec un petit peu plus de distance, et un petit peu moins de pathos, il apparaît peut-être simplement que Marilyn Monroe n'était pas un génie littéraire, mais une jeune femme très sensible qui avait beaucoup de mal à accepter l'idée d'être annexée de son vivant au registre des images. Or ce fut bien, et paradoxalement, sa plus éclatante réussite : Marilyn Monroe a d'abord été cela, une image, elle-même extrêmement sensible à ce que la caméra-et par extension le regard, tous les regards-pouvait simultanément capturer et projeter sur cette surface infiniment inscriptible. C'est ce qu'avait très bien perçu Norman Mailer dans un beau roman antérieur à la grande foire de la réhabilitation générale, intitulé Mémoires imaginaires de Marilyn 7 , paru en 1980 et faisant suite (ce n'est pas fortuit) au Chant du bourreau, pour lequel il obtint le prix Pulitzer et qui, déjà, travaillait sur la