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Un art thraco-gète?

1974, Dacia. Revue d'archéologie et d'histoire ancienne

Abstract

Nous savons gre au professeur D. Berciu de l'Universite de Bucarest d'avoir enfin fait publique !'importante tombe princiere decouverte il y a plus de 40 annees a Adjighiol, au Nord-Est de la Dobroudja. Habent sua fata thesauri I Nous assistons souvent a cette situation paradoxale de devoir attendre de longues annees a connaître justement les decouvertes les plus importantes. D.B. a complete la presentation, plutât sommaire, de cette trouvaille-parue en version allemande, legerement remaniee, dans BerRGK, 50, 1969 (1971), p. 209-265-par une serie d'etudes portant sur divers monuments de toreutique, destinees a soutenir l'idee maîtresse de l'ouvrage 1 • Car le nouveau livre de D.B. est un ouvrage «a these », ou l'auteur s'evertue a convaincre son lecteur de l'existence d'un art propre aux Getes des ye et IV" ss. Depuis l'epee-embleme de Medjidia, en pas~ant par Ies piect>s d'apparat d' Adjighiol et de Craiova, le rhyton de Poroina-j'en passe et des meilleurs-tontes ces pieces ne seraient qu'autant de documents de l'art gete. ]'ai defini le livre de D.B. comme un ouvrage «a these » justement parce que son auteur, en se passant d'une analyse stylistique rigoureuse, ne fait que repeter l'appartcnance a cet art des monuments discutes. De la sorte, notre disc.ission portera moins sur Ies opinions de D.B. que sur quelques documents ayant servi a sa demonstration. La chronologie de la tombe d'Adjighiol (cf. P. Alexandrescu, SCIV 22, 1971, p. 660-662). Bien qu'il nous manque toujours un catalogue complet et une description illustree de taule la ceramique grecque trouvee dans Ia tombe meme ou dans le remblai du tumulus d'Adjighiol, Ies quclques tessons attiques publies en peuvent servir de repere chronologique. Ccs fragments font partie de trois pieccs differentes. D'abord une lekanis (la forme A selon

References (9)

  1. Kelermes, Artamonov, pl. 27, et la piece de Gart\inovo, recemment reproduite chez Venedikov- Gerasimov, pl. 152) avalant un animal, le poisson, etc. 'art scythi- que et Ies arts du Proche-Orient (l'art grec archaique, au moins jusqu'au milieu du VI" s" avait connu le double contour des jambes d'animaux) : la hache en or de Kelermes, Artamonov, pl. 10 (pl.5/1), le relief en or de Solokha, Artamonov, pl. 78 (pl.4/3), Ies petits reliefs ornernentaux en or du kourgan des Sept Freres au Cuban, Artamonov, pl. 107, 108, 112, Ies plaques ajourees en bronze du kourgan 3 de la meme necropole, Artamonov, pl. 135, 136 (pl.5/4), le cerf en or de Koul Oba, Artamonov, pl. 264, 265. II se retrouve egalement sur Ies pieces trouvees en Hongrie, Ies deux cerfs en or de Zoldhalompuszta et de Tapios-Szent-Marton reproduits recemment par J. Potratz, Die Skythen in Sudrussland, Basel, 1963, pl. 35 et 37. La double ligne hachuree, entourant surtout Ies yeux des animaux, represente elle aussi un element decoratif nettement scythique, cornme sur Ies tetes de baldaquin d'Oulski Aoul, Artamonov, pl. 58 (pl.4/4) et du kourgan 4 des Sept Freres, Artamonov, pl. 61, et sur I'epee embleme de Med- jidia du plus pur style scythique, Berciu, Arta, fig. 2, 4, 6. Les museaux aplatis des chevaux rappellent Ies «spiral snouts » scythiques (voir plus loin p. 279). L'element ornemental rappelant une plume stylisee, dont sont decores soit Ies oiseaux, soit Ies taureaux (Ies appliques E 40-45 du tresor de Craiova), soit, enfin, Ies casques d'Adjighiol et de Detroit, fut introduit dans l'art scythique depuis le monde iranien : le rhyton achemenide du kourgan 4 des Sept Freres, Artamonov, pl. 117, 119; l'ornement de cuirasse du kourgan 2 de la meme necropole, Artamonov, pl. 113, mais aussi la tete de griffon du tresor de Ziwiye, E. Po- rada, Iran Ancien, Paris, 1963, p. 124 en haut. La representation des yeux exophtalmiques releve, elle aussi, d'une tradition scythique. L'ceil avait une particuliere signification syrnbolique et decorative dans l'art des Scythes, cornme l'avait justement observe G. Borovka. II est caracteristique pour Ies animaux (surtout Ies tetes d'aigle et de cerf), mais se retrouve egalement sur Ies rarcs sccnes a personnages humains, telles que la plaque en or de Merdjany, au Cuban, Artamonov, pl. a3I, et celle du kourgan d'Oguz, Malkina, fig.
  2. Enfin, ii faut observer quc la spirale ornementale appliquee sur Ies griffes des oiseaux rapaces (n°" 1, 3, 5, 6, 7) est encore un element decoratif de !'art scythe, dont la tendance vers la stylisation en spirale, pour certaines parties du corps des animaux, aussi pour le dessin des articulations, fut remarque par G. Borovka et P. Jacobstahl, ECA, p. 45. 'epoque surtout par Ies Getes. II me semble donc que la « these »de D. B. pourrait etre acceptee en principe: cet art s'adressait aux petits dynastes de cette region (jene voudrais entamer, dans ces pages, Ies questions historiques qui en decoulent). A une correction pres: il ne s'agit point d'1m n~JU".Je! art. Car Ies pr~ductions c:.rtistiques d'un ccrtai:n groupe ethniqu~. m~me si elles se distin- guent 'influences. Elles trahis- sent Ies sources qui ont inspire leurs artistes et ne nous laissent guere l'irnpression d'une synthese originale, d'une vision formelle independante. II s'agit plutât d'ceuvres hybrides, sans doute d'une certaine beaute farouche, relevant d'une zone de contact et de confluence entre plusieurs mondes artistiques. La serie A 16-19 (pi. 6/6) red~le •un changement. iconographique. Le motif d,u «spiral snout » a la tehdance de prendre Ies traits d'une tete de cheval (une oscillation iconographique du « s•piral snout », entre une tete d'« hippocampe •» -terme de vaJeur purement conventionnelle -et une de cheval, accuse egalement l'art scythique), ţout en conservant la stylisation en •spirale de la machoire inferieure. Cette variation est roaintenue sur Ies appliques tripartites B 20-23. La suite de cette metamorphose, et qui rţpresente .en •effţt un heureux effort d'absţraction du motif initial, c'est la piece B 24 (pi. 6/7), coinme l'avait justement re<:onnu le savant allernand. Le dessin orga- une impr:ession d'equi- libre entre le• mouvement circulai~e, dis:i:ms .giratoire, des. protomes d'animaux se pours uivant l'un l'autre -et dont ii n'en reste que Ies cous et Ies crinieres -et la statique de volutes. H. Schmidt avait attire l'attention sur une piece de Brezovo, Venedikov-Gerasimov, pl. 266 (pi. 6/lf), ou !'artiste avait abonde dans le •sens de l'abstractioh, en creant une applique de forme carree, composee de 8 tetes; dont Ies elements organiques sont disposes d'uhe maniere presque afigurative. un-second groupe est forme par Ies pi~ces C et D. On se rappelle la discussion qui avait oppose a:H.: Schmidt, Katharina Malkina, PZ 1928, p. 152 suiv., a propos de. l'interpretation de ces.-pieces.
  3. H. Schmidt •y voyait l'illustration d'un combat entre deux animaux ; il reconnaissait sur chaque piece « zwei nach unten hangenden Tierkorper ». Sur l'animal le plus petit, celui de droite (C 25-26) (pi. 6/2) ii croyait voir une tete d'oiSeau, l'c:eil rond et le bec recourbe <1 mit am Riicken entlanglau- fender Spirallocke urid einem •Federkopf, der in Form eines quergesfrichelten Randes am Kopf und RiiG:ken ansitzt ». D'apres le savant allemand, il s'agit d'un griffon, le grând anim:al a gauche etant un lion. K. Malkina reconnaissait sui ces pieces.'la representation stylisee de deux jambes.d'animal. Eh bien ! Une recente decouverte faite en Bulgarie du •Nord-Ouest a fourni une eclatante preuve a l'a.ppui de l'intuition de H. Schmidt. L'applique en a•rgent de Vratsa, Venedikov-Gerasi- mov (pi. 6/1), est decoree d'un combat entre deux animaux «spiral snouts », montes l'un sur l'autre. C 25 (pi. 6/2) le contour exteriem a ete conserve et quelques indications ana- tomiqlics ont ete su.ggerfrs, Ies pattes inferieures, Ies articulations -des jambes, Ies crinieres. A la place des deux tetes on recunnaît, avec H. Schmidt. une gtoose tete d'oiseau vora.ce, l'c.eil geant et fo bec fortement recourbe tournc en spirale. Le nouvcl cnsemble, fortement abstrait, garde pourtant certa.ins rapports avec son modde. Mais sur Ies âppliques C 32-33 (pi. 6/4) Ies elements du prototype sont completement decomposes; ! 'artiste s'est applique a fa:ire ressortir seulement Ies valeurs for- melles, de sorte que l'ceuvrc acquiert une expression artistiqu•e toute nouvelle (a comparer avec la piece en electrum d'Oguz, Malkina, pi. 27/8, ou !'artiste, par des moyens artistiques differents, avait atteint le meme degre d'abstraction) .. Enfin la derniere seric qui retient notre attention dans ces pages c'est D 34-36 (pi. 6/9), dont ., realisee egalement dans l'art anima- lier scythique, et dont l'histoire a ete reconstruite par P. Jacobstahl, ECA, p. 53 suiv. II me semble evident que Ies pieces de harnais des types • disc,utes dans ces pages, et dont le tresor de Craiova offre la plus riche vari_ete (je ne me stiis pas a:rrete sur Ies autres motifs animaliers, o;;urtout !e~ tetcs d'::>ise~ux •.rora;;e:;, qGi remplacent suuvent. sur de telles pieces les <1 spiral snouts », du fait qu 'ils ne semblent pas modifier de fa<;on notable Ies remarques exposees ici), ont ete fabriquees dans Ies pays thraces. Une analyse speciale s'y impose, afin de grouper ces monuments par ateliers.
  4. D'ores et deja Ies appliques de Vratsa, Venedikov-Gerasimov, pl. 278, 280, 281, 282, semblent ap- partenir a un atelier tres apparente, sinon le meme, que celui des pieces de Loukovit, Venedikov- Gerasimov, pl. 277. D'un seul atelier semble egalcment provenir lcs trois appliques de Bedniakovo, variation du type C 25-26, Venedikov-Gerasimov, pl. 274, et Ies triquetra a tetes d'animaux voraces, Pl. 6. -I. Applique de h a rn ais de Vratsa (d'apres Venedikov -Gerasimov);
  5. Appliquc d e la seric A 1-15 du tresar ele Cra iO\•a; 6 . App lique de la serie A 16 -19 du tresar d e Craiova;
  6. Applique B 24 du t resa r ele Craiova; 8. .-\ppl iq ue ele Brezovo (ci 'apres Ve nedikov-Gerasimov ) ;
  7. 9. :\pplique D 3-1 du tresar ele Craiova.
  8. Venedikov-Gerasimov, pL 271. Quant au tresor de Craiova, il pourrait etrc compose de pieces pro- vcnant d'ateliers differents (d'un seul atelier peut-etre la serie C 28-33, D 34-36). Le quatrieme siecle a marque dans le Sud-Est europeen unc epoque de brillanţe prosperite.
  9. En Thrace, nous assistons a l'epanouissement de la civilisation des Odryses, avec leur capitale de Seuthopolis, et des petites formations politiques nord-balkaniques et du Bas-Danube. En Ukraine, les 'Europe, grâce - surtout -a l'art des pieces d'apparat, en or et en argent, que des princes prodigues avaient en- fouillis dans leurs tombes. En effet, la Thrace, l'Ukraine, le Cuban, la Crimee relevent d'un art ani- malier rafine, ayant une certaine unite stylistique, malgre sa diffusion dans l'espace. Ses racines multiples, iraniennes, mesopotamiennes, ourartous, siberiennes et la puissante ernprise grecque lui ont confere son individualite. Bien que nous manquons toujours d'une recherche systematique, a l'exemple des etudes de P. Jacobstahl, Cyril Fox ou P. M. Duval sur l'art celtique, on commence aujourd'hui a pouvoir discerner, dans la rnasse des documents accumules depuis presque deux siecles dans Ies musees, Certains SeCteurS regionaUX de Cet art -nomme (C scythique >) -grâce a J'identification de groupes d'ateliers, de leur repertoire et de leur gout. En effet cet art qui etait devenu a l'epoque un art adresse a l'aristocratie tribale, pour ne pas le nommer simplement un art princier, a fleuri non seulement dans Ies steppes nord-pontiques, ha- bitees par Ies Scythes, mais aussi en dehors de ce monde, en se developpant comme un art <c uni- versel » des cours des petits princes locaux. Certaines categories d'objets d'apparat, et surtout le harnais, ont subi cette emprise, tandis que sur d'autres, sujets a un certain programmatisme iconographique (pieces d'armure, vases sacres, etc.), l'influence hellenique ne cessait de jouer tou- jours. »,ii faut conclure que, bien qu'ayant comme point de depart un motif iconographique scythique, enrichi d'clcments decoratifs pour la plupart scythiques (le double conţour hachure, voir plus haut p. 278, la tete d'oiseau vorace, la styli- sation en spirale, etc.), elles se developpent dans Ies tcrres thraces selon des formulcs artistiques propres, temoignant d'un golit particulier pour l'abstraction. 'art, que cet effort vers la <lecompo- sition d'un modele organique jusqu'a l'abstraction presque afigurativc (evidente seulement sur Ies plaques ornementales d'harnachement, ou l'artiste se sentait libre de la contrainte d'un programrne iconographique), de la re-creation d'ceuvres formellernent nouvelles et fraiches, de structure artisti- que aussi libre que rigoureuse. C'est dans ce cadre que semble se cacher le genie des artistes thraccs. Et c'est toujours la que l'on peut decouvrir la contribution thracc au grand courant des arts euro- peens de la peripherie du monde hellenique, en marche vers la creation d'un nouvel univers des for- mes que d'abord Ies Scythes, ensuite Ies Celtes ont fini par realiser. Cette evolution de l'art a ete malheureusement arretee en Thrace, pour un certain temps, au seuil du IIre siecle.