P. Teissier, C. M. Mody, B. van Tiggelen (eds.) From Bench to Brand and Back: The Co-Shaping of Materials and Chemists in the Twentieth Century. Cahiers François Viète, Série III, n°2, pp. 183-216, Jun 1, 2017
The carbons known today as fullerenes, nanotubes, and graphene were all observed or theorized wel... more The carbons known today as fullerenes, nanotubes, and graphene were all observed or theorized well before becoming emblematic nanomaterials. However, by the 1990s, their mode of existence was shifted from bench or brand objects to technoscientific objects. After focusing on the separate life-stories of these carbons, this chapter recounts how, by eventually interweaving their trajectories and mutually referring to each other, these objects have reborn as a family of low-dimensional nanocarbons unfurling a space of indefinite technological possibilities saturated by promises of radical novelty: the “nanoworld”. The co-shaping of nanoworld and nanocarbons is reminiscent of that of the three basic figures composing the world of painting according to Kandinsky: point, line, and plane.
Keywords: carbon, nanotubes, materials chemistry, fullerene, graphene, modes of existence, nanomaterials, nanotechnology, objects, technoscience.
Les carbones aujourd’hui connus sous le nom de fullerènes, de nanotubes et de graphène furent tous observés et théorisés bien avant de devenir des nanomatériaux emblématiques, mais au cours des années 1990 ils changent de mode d’existence et passent du statut d’objets scientifiques ou de produits commerciaux à celui d’objets technoscientifiques. En partant des récits de genèse de chacun de ces carbones, ce chapitre raconte comment ces objets, en finissant par entremêler leurs trajectoires et à s’impliquer mutuellement, ont contribué à déployer un espace de possibilités technologiques indéfinies saturé de promesses de nouveauté radicale, le « nanomonde ». La co-constitution du nanomonde et des nanocarbones n’est pas sans évoquer celle des trois figures de base composant le monde de la peinture selon Kandinsky : le point, la ligne et le plan.
Mots-clés : carbone, nanotubes de carbone, chimie des matériaux, fullerène, graphène, modes d’existence, nanomatériaux, nanotechnologies, objets, technoscience.
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Papers by Sacha Loeve
Le projet HOMTECH (sciences de l’HOMme en univers TECHnologique, 2015-2017) porte sur la recherche en SHS lorsqu’elle prend place en « environnement technologique » et plus précisément en écoles d’ingénieurs et en universités de technologie. Il entend ainsi instruire de manière épistémologique, historique et empirique la question de la singularité des méthodes, des pratiques et des finalités des recherches en SHS s’inscrivant dans ces environnements. Les SHS étudiées ici réflexivement incluent la philosophie, l’histoire, les sciences de l’information et de la communication, la psychologie, les sciences cognitives, la sociologie, l’économie et les sciences de gestion.
Quelle place et quelle importance sont accordées à la recherche en SHS dans ces établissements ? Quels objectifs poursuit-elle et peut-elle poursuivre ? Comment se fait l’articulation entre la recherche et l’enseignement de ces SHS en environnement technologique ? Quelles sont et quelles peuvent être les modalités concrètes d’une interdisciplinarité féconde entre SHS et SPI ? Quels rapports ces SHS entretiennent-elle avec la technologie dans ses multiples significations (comme domaine d’objets, comme théorie et comme ressource pour la recherche) ?
C’est pour tenter d’apporter des éléments de réponse à ces questions que nous avons réalisé une anthropologie de la vie de laboratoire de SHS en univers technologique.
Keywords: carbon, nanotubes, materials chemistry, fullerene, graphene, modes of existence, nanomaterials, nanotechnology, objects, technoscience.
Les carbones aujourd’hui connus sous le nom de fullerènes, de nanotubes et de graphène furent tous observés et théorisés bien avant de devenir des nanomatériaux emblématiques, mais au cours des années 1990 ils changent de mode d’existence et passent du statut d’objets scientifiques ou de produits commerciaux à celui d’objets technoscientifiques. En partant des récits de genèse de chacun de ces carbones, ce chapitre raconte comment ces objets, en finissant par entremêler leurs trajectoires et à s’impliquer mutuellement, ont contribué à déployer un espace de possibilités technologiques indéfinies saturé de promesses de nouveauté radicale, le « nanomonde ». La co-constitution du nanomonde et des nanocarbones n’est pas sans évoquer celle des trois figures de base composant le monde de la peinture selon Kandinsky : le point, la ligne et le plan.
Mots-clés : carbone, nanotubes de carbone, chimie des matériaux, fullerène, graphène, modes d’existence, nanomatériaux, nanotechnologies, objets, technoscience.
I – Critically Mapping Current Approaches
From an early stage, nanoscience and nanotechnology (NST) have been associated with a political will to integrate upstream the question of their "ethical and societal implications". In this context, the implication of the social and human sciences (SHS) has given way to a great variety of approaches to NST ethics. After a decade of SHS involvement, it is time for an appraisal. This article seeks to critically map the different approaches of SHS involvement in NST with regard to their problematization of ethical issues and to identify their shortcomings and limitations. Especially, it is argued that concrete technoscientific NST developments and the concerns with the values that they generate should be better articulated.
II – For an object-centred approach
The ethics of nanoscience and nanotechnology (NST) calls to question the division between the neutrality objects and the morality of uses. NST lead us therefore to a new kind of "Copernican revolution", taking us from a situation where the subject is the only moral being to a situation where objects fully enter in the field of moral philosophy. This article shows how the epistemological analysis of the mode of existence of nano-objects can renew the ethical issues on several singular fieldworks. The demonstration will be based on four case studies of nano-objects, conceptualized as "relational objects" : artificial molecular machines, drug nanocarriers, bio and eco-toxicology of nanoparticles, and biomarkers for personalized medicine.
ÉTHIQUE ET ÉPISTÉMOLOGIE DES NANOTECHNOLOGIES
I – Cartographie critique des approches existantes
Les nanosciences et nanotechnologies (NST) ont été placées très tôt sous le signe d’une volonté politique d’intégrer, en amont, la question de leurs « enjeux éthiques et sociétaux ». Dans ce contexte, les démarches « d’accompagnement » des technosciences par les sciences humaines et sociales (SHS) se sont multipliées, et diverses approches de l’éthique des NST ont été proposées. Après une décennie d’implication des SHS, un bilan s’impose. Cet article propose une cartographie raisonnée des différentes démarches d’accompagnement des NST par les SHS quant à leur problématisation du questionnement éthique, et en indique les insuffisances et les limites. Il soutient notamment que les développements technoscientifiques concrets des NST et les questions de valeurs qu’ils suscitent doivent être mieux articulés.
II – Pour une approche centrée sur les objets
l'éthique des nanosciences et nanotechnologies (NST) appelle à remettre en question le partage entre la neutralité des objets et la moralité des usages. Les NST nous poussent par conséquent à une sorte de nouvelle « révolution copernicienne », nous faisant passer d'une situation où le sujet est le seul être moral à une situation où les objets entrent de plain-pied dans le champ de la philosophie morale. Le présent article montre comment l'analyse épistémologique du mode d'existence des nano-objets permet de renouveler le questionnement éthique sur des terrains à chaque fois singuliers. La démonstration se fera sur la base de quatre cas concrets de nano-objets, conceptualisés comme des « objets relationnels » : les machines moléculaires artificielles, les nanovecteurs de médicament, la bio et l'éco-toxicologie des nanoparticules, et les biomarqueurs pour la médecine personnalisée.
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Un enquête critique sur le "Cloud computing" comme buzzword occultant l'enjeu actuellement crucial de la reterritorialisation d'internet.
On a rarement, sinon jamais, rapproché Gilbert Simondon et Hannah Arendt. Pourtant, "Du mode d'existence des objets techniques" et "Condition de l'homme moderne", parus la même année (1958), partagent une même question : celle du statut et du sens des artéfacts - "objets techniques " pour Simondon, " œuvres " pour Arendt - dans la manière originale d'être-au-monde en quoi consiste la réalité humaine. Cette question mène les deux auteurs à défendre un humanisme ne se réclamant d'aucun " propre de l'homme ", refusant de se laisser enfermer dans l'alternative entre " technique promotrice de l'humain " et " technique déshumanisante " et à critiquer la réduction de la technique au travail. Cependant, les deux pensées divergent nettement sur la question des rapports de l'être-objet et du processus d'une part, et de la technique et de la nature d'autre part. Cet article tente d'articuler ces points de rencontre et de divergence. La lecture croisée qui y est pratiquée souligne le rôle d'appariement du questionnement politique et du questionnement ontologique dévolu à la philosophie des techniques.
Nanotechnology’s Grand narrative recounts how the human conquers a “new frontier”—the Nanoworld—to expand its empire by domesticating its inhabitants. Instead of crudely carving tools and machine parts in bulk matter and then come up against the physical limits of materials, we would be recombining at will the elementary “construction bricks” (atoms and molecules) of all that exist, so as to remake a world that obey the finger and the eye. However, the “Nanoworld” cannot be accessed neither by the finger nor by the eye. Thus, to become “masters and possessors” of it, humans must try to “machinate” matter in its tiniest parts, in other terms: Synthesizing molecules as machines. Let us see more closely, and follow the transformation of two nanomachines synthesized in the lab, namely a wheelbarrow, and a motor.
What happens in these practices to the Grand Narrative that these nanomachines are supposed to put into operation? Instead of materializing into cold objective facts that would either feed or oppose the hype, the Grand narrative gives way to “small technical stories” of humans and non-humans. There is thus nothing like an offshore rhetoric on the one hand versus the reality of practice on the other. Indeed, when these objects situated below the visible and out of reach from the hand are put at work by humans, any perception and action, necessarily instrument-aided, constitutes a bribe of narration. Here we have chosen to echo the “small technical narratives” that researchers have recounted us. We show that they require us to rethink some of the basic and seemingly self-evident technological concepts abundantly used in nanotechnology’s Grand narratives—the “Grand words”, so to say, namely “control”, “function”, and “application”.
Résumé :
Le grand récit des nanotechnologies raconte comment l'humain conquiert une “nouvelle frontière” - le nanomonde - pour étendre son empire en domestiquant ses habitants. Au lieu de tailler grossièrement outils et pièces de machines dans la matière pour venir ensuite buter contre les limites physiques du matériau, nous irions recombiner à volonté les “briques élémentaires de construction” (atomes et molécules) de tout ce qui existe pour nous refaire un monde où la matière nous obéirait au doigt et l'oeil. Seulement voilà, le “nanomonde” n'est accessible ni au doigt, ni à l'œil : pour nous en rendre “comme maîtres et possesseurs”, il nous faut machiner la matière dans ses moindres parties en synthétisant des molécules qui soient directement des machines. Allons y voir de plus près, et suivons les transformations de quelques nanomachines réalisées en laboratoire : une brouette, un moteur. Que devient, dans ces pratiques, le grand récit “hype” qu'elles sont censées mettre en œuvre ? Loin de se matérialiser en froides réalités objectives qui viendraient soit l'alimenter, soit lui opposer la sobriété des faits, le grand récit cède la place à des “petits récits techniques” d'humains et de non-humains. Il n'y a donc pas d'un côté, des grands discours hors-sol, et de l'autre, la réalité concrète des pratiques. En effet, lorsque nous tentons de faire fonctionner ces objets situés en deçà du visible et hors de portée de la main, toute perception et toute action, forcément instrumentées, constituent une bribe de narration. Nous avons choisi de faire ici écho aux “petits récits techniques” que nous confient les chercheurs. Nous montrons notamment que ceux-ci obligent à repenser le sens des “grands mots” – ces concepts technologiques de base que les grands discours des nanos utilisent à foison comme autant de termes auto-évidents, tels que “contrôle”, “fonction” et “application”.