Liberal Arts

La langue française telle qu'elle est pratiquée aujourd'hui en Afrique ne peut plus laisser indifférents les chantres du purisme qui voient d'un mauvais oeil les fluctuations observées dans ladite langue sur l'ensemble du continent noir. Camp de Thiaroye, long-métrage réalisé dans les années 80 joue sur le terrain de la langue et de l'autodérision pour démanteler l'architecture coloniale. La pratique du français dit tirailleur (par opposition au français standard parlé par les officiers de l'armée française) en vogue parmi la soldatesque africaine ayant participé à la seconde guerre mondiale, apparaît comme une arme de démystification dont se sert Sembène Ousmane à travers ses personnages pour dévoiler la face cachée d'une France qui se sera montrée vulnérable pendant l'occupation nazie. Le film est ainsi fortement engagé dans le champ linguistique, variant ses ondes entre un français mal pratiqué en signe de rejet et une mosaïque de langues africaines qui surgissent comme de nulle part pour former un bloc contre une langue d'importation dont il faut se défaire en même temps que l'on dénonce les abus de l'occupant.

Si les linguistes s’accordent pour dire qu’une langue peut mourir d’être trop parlée ou d’être peu parlée, la langue française semble jusqu’ici déjouer quelque peu ces prognostiques. L’Afrique est aujourd’hui le continent qui compte le plus de locuteurs de la langue française dans le monde. Considérant qu’environ deux mille langues sont parlées en Afrique, l’enjeu du plurilinguisme prend dès lors tout son sens et nous interroge sur la survie du Français au milieu d’une majorité écrasante de langues africaines. Au fil des années, la langue française a su s’adapter et se faire une place dans cette société des langues qui cohabitent et enrichissent les hommes et les cultures. Le résultat est tel que le Français, l’argot et le vernaculaire se conjuguent pour créer ce que nous convenons d’appeler une zone de confort linguistique ou encore un no man’s land linguistique qui échappe à toute norme et démontre le dynamisme des langues qui s’enchevêtrent sans pour autant se phagocyter. C’est dans cette logique que s’inscrit le roman de Nathalie Etoke Je vois du soleil dans tes yeux. Le souffle entrainant de sa prose nous promène à souhait à travers la machine linguistique de ce contact des langues, où les personnages finissent de nous convaincre non pas de l’existence en Afrique d’une langue française, mais des langues françaises en constant renouvellement. La langue semble ainsi évoluer avec son temps pour épouser les fluctuations de son époque. Le résultat en littérature africaine est tel que nous assistons à une écriture arc-en-ciel qui requiert de plus en plus d’effort intellectuel pour percer son mystère, invitant de fait la communauté des chercheurs à pénétrer la réalité socio-anthropologique de l’Afrique pour comprendre le fait linguistique qui façonne sa littérature.

Language is in constant motion, and its fluctuations have served as a guide and tool to literary evolution over time. Comparing texts from different periods and different geo-linguistic areas involve philology and a pragmatic approach to penetrate the language, its meaning in context, its lexicon, and some significant grammatical changes that have occurred and led to the emergence of new meanings. A comparative approach is useful in understanding "French languages" and their evolution in France as well as in the Americas, but also in Africa where linguistic revolution tends to more intensely alter the language with new meanings and words, distancing itself from the conventional French and positioning itself as a weapon of resistance against the colonial or neocolonial power and structure. Literary texts, therefore, serve as a gallery for the emerging languages that are not grounded around a single lexical and grammatical pattern but rather rooted in a complex multicultural linguistic heritage that disrupts the idea of one pure French language. Spivak advocates for a border crossing that will take account of the literature not only of the South but even literature of languages despised and sentenced to death by the Western colonial project: "Comparative Literature and Area Studies can work together in the fostering not only of the national literature of the global South but also of the writing of countless indigenous languages in the world that were programmed to vanish when the maps were made" (15). Without waiting for that to happen, African literature has taken a step forward into making varied literary productions that play in many fields, mixing the conventional French with indigenous languages. In the collection of tales Les nouveaux contes d'Amadou Koumba, Birago Diop, the renowned Senegalese writer, performs a mix of French and Wolof songs and proverbs that descend from the traditional West African society. His work relies mainly on the orality of folktales, which were meant to be performed by storytellers, traveling poets,

Le noir et le blanc du Fils d'Agatha Moudio, discours sur l'altérité et la mêmeté Maurice TETNE, Washington University in Saint Louis, Etats-Unis Résumé « Notre village gardait le pied de la colline d'où descendait la rue grise venue de la ville lointaine ». C'est par cette première phrase que s'ouvre Le fils d'Agatha Moudio, roman de Francis Bebey. Ce propos introductif est un premier indice d'autoreprésentation qui va situer le texte dans une séquence intradiégétique. Le village, géographiquement localisé par rapport à la ville lointaine et au pied d'une colline, plante le décor de ce qui va constituer dans le roman un poste d'observation pour scruter l'arrivée des colons. De ce contact des cultures va naître un fils, celui d'Agatha Moudio, source de réflexions discursives qui interrogent de manière originale le moi et l'autre. Dès lors, le je, le nous et le notre du narrateur établissent un jeu conséquent dont l'horizon d'attente déconstruit les codes de l'indigénat en même temps qu'il repense les rapports de race.

The 1904 Louisiana Purchase Exhibition, often overlooked as a secondary layer of segregation, strategically displayed non-white bodies within their contrived “natural environments.” This exhibition, notably excluding African Americans in its visual narrative, nevertheless conveyed a racialized message through the representation of other ethnic groups. Central to this narrative was the exhibition of Central African pygmies, positioned as a “missing link” between humans and primates, a dehumanizing spectacle framed as educational. The juxtaposition of such “natural environments” against the backdrop of American progressivism underscored a rigid racial hierarchy. The fair spatially staged the Western gaze upon the Other. This gaze can inform our understanding of the current disparities in the city that hosted it. The mirage of the exhibition, where human bodies were subjects of curiosity and their physical appearance a source of amazement destined to distract the viewers, played an important role in strengthening the spatial practices based on race that we observe today in St. Louis. The “natural environment,” facing the “American modernity” traced the path to long-lasting confinement, confirmed the impossible encounter and justified the exclusion of the Other through the deforming perception of the gaze. The exhibition functioned as a powerful propaganda tool, legitimizing racial inequalities and social stratification under the guise of showcasing a so-called “natural order.” The spatial dynamics of the fair not only mirrored but also perpetuated racial divisions, with the 1904 World’s Fair in St. Louis exemplifying the entrenched nature of these disparities. By situating the traditions of the American South within the context of a Midwestern state, the fair served to reinforce and legitimize the existing racial order, entwining regional traditions with national ideologies of race.